L’Italie sous régime gérontocratique

Les machinations qui ont porté au pouvoir le nouveau Premier ministre italien, Matteo Renzi, qui n’a jamais été membre du Parlement, ont été orchestrées par deux des plus anciens et habiles parrains politiques du pays : le président, Giorgio Napolitano, âgé de 88 ans, et Silvio Berlusconi, l’ancien Premier ministre de 77 ans condamné par la justice. A 39 ans, Renzi peut croire qu’il détient le pouvoir, comme peuvent le penser ses ministres âgés en moyenne de 48 ans (dont deux femmes de 33 ans). Ils réaliseront sous peu qu’ils contrôlent à peine le gouvernement. Les rênes de celui-ci sont trop glissantes car imprégnées de la sueur des anciens.

Plongée dans sa dépression la plus profonde depuis 1861, l’Italie, qualifiée «d’économie la plus dangereuse du monde» par Time Magazine, a donc été le théâtre de la chute brutale d’Enrico Letta, 63e Premier ministreen soixante-huit ans. Comptant sur le soutien d’une coalition aberrante entre la gauche et le centre droit, Renzi promet, à sa suite, quatre années de stabilité, ainsi que des réformes sociales et économiques de base. Mais déjà, contre son appel au changement, les dirigeants politiques de la majorité des partis plaident pour de nouvelles élections. L’Italie est donc toujours dans le chaos, et la faute en revient à un système politique et économique régi par des gérontocrates dont la responsabilité ne peut plus être ignorée.

La gérontocratie est une tradition vieille de plusieurs décennies en Italie, et elle progresse rapidement dans la plupart des pays de l’OCDE, où l’âge médian des électeurs a augmenté trois fois plus vite au cours de la période 1990-2005 que dans les trente années précédentes. Mais l’Italie reste leader en ce domaine, avec la troisième population la plus âgée dans le monde. Les pays lestés d’élites vieillissantes feraient bien d’y regarder de plus près.

Les lois électorales archaïques de la péninsule permettent que la gérontocratie se perpétue au Parlement et au gouvernement. Avec une moyenne d’âge de 59 ans, les hommes de pouvoir italiens sont les plus âgés en Europe. L’âge médian des professeurs d’université est de 63 ans, celui des banquiers et des évêques de 67 ans. A vrai dire, sur les 2 500 membres des trois Parlements élus avant 2013, seulement deux avaient moins de 30 ans. Pas étonnant que les jeunes Italiens instruits quittent le pays en masse.

Le bilan économique de la gérontocratie est en effet dramatique. La baisse du revenu disponible par habitant depuis 2007 a été plus forte qu’au cours des pires dépressions, en 1866-1871 et 1929-1935. Une part toujours plus élevée des recettes fiscales est engloutie par le service de la dette de l’Etat, dette qui s’élève actuellement à 133% du PIB et qui continue de croître, tandis que la productivité stagne depuis une décennie. Le PIB s’est contracté de 9% en six ans tandis que l’économie souterraine compte à présent pour 20% du PIB. Pendant ce temps, l’inégalité, la pauvreté et le chômage prospèrent. Les syndicats et les partis surreprésentent les intérêts des personnes âgées, mais les jeunes ne bénéficient pas de leurs largesses. Les vieux Italiens, qui se sont enrichis au cours des décennies de croissance économique rapide après la Seconde Guerre mondiale, s’accrochent à ce qu’ils ont et paraissent se moquer de ceux d’en dessous. Peut-être faudrait-il à l’Italie un plan Marshall pour sa jeunesse ?

«Non ho l’età» : tels furent les mots de Matteo Renzi s’adressant aux 315 sénateurs pour la première fois le 25 février : «Je n’ai pas l’âge requis.» Pour être sénateur, il faut en effet être âgé de 45 ans ou plus, il manque donc six ans à Renzi. Premier ministre peut-être, pourquoi pas président, s’il était né aux Etats-Unis, mais pas assez mûr pour être admis dans le saint des saints du Parlement italien. Aucun autre pays dans le monde n’exige de ses citoyens d’attendre 25 ans pour atteindre leurs pleins droits politiques. Les jeunes Italiens peuvent certes voter pour la Chambre des députés à 18 ans, mais ces 4,3 millions de citoyens (8% des électeurs) doivent patienter sept ans pour pouvoir élire les membres du Sénat. Quelle ironie de constater que tandis que le chômage des jeunes atteint 42%, ceux-là même qui sont le plus touchés par le malaise économique ne sont pas autorisés à choisir la moitié du Parlement qui détermine leur avenir !

Les décideurs économiques et politiques italiens négligent sciemment l’impact à long terme de leurs décisions au péril des générations futures, en maximisant les solutions de court terme, notamment en matières écologiques, technologiques et financières.

Sept décennies de gérontocratie ont paralysé l’innovation et la compétitivité économiques : cette année,le Forum économique mondial de Davos a classé l’Italie à la 49e place dans ces catégories, en chute libre. Après avoir attendu trente ans pour des «grandes réformes» qui ne sont jamais venues, le pays devrait immédiatement accorder le droit de vote plein et entier à 18 ans, et desserrer la poigne de fer de la vieille classe régnante. C’est sur la jeunesse italienne que Renzi doit s’appuyer s’il veut sortir le pays du marasme. Il doit se souvenir que seul un jeune sur six a soutenu son Parti démocrate en 2013, tandis que 47% des moins de 25 ans ont accordé leur voix au jeune Mouvement Cinq Etoiles (M5S) du vieux comédien Beppe Grillo (64 ans). Sans cet appui, les rênes du pouvoir lui glisseront bien vite des mains.

Marco Morosini, chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

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