Liu Xiaobo et les vrais amis de la Chine

Le gouvernement de la Chine, de sa propre volonté, a ajouté à la constitution de son pays l'engagement à "respecter et protéger les droits humains". C'était en 2004. En 1998, il avait signé la Convention internationale sur les droits civils et politiques ; et en 2008 il a annoncé la mise en place d'un "plan d'action national pour les droits humains". On ne peut reprocher ces engagements à des gouvernements étrangers. Ni au Comité du prix Nobel de la paix. Ni à Liu Xiaobo. Il est l'ancien président du Centre PEN chinois indépendant, mais il est en prison aujourd'hui parce qu'il a cru aux engagements de la Constitution de la Chine et du gouvernement de la Chine.

Un cri de plus en plus fort va se faire entendre : "Libérez Liu Xiaobo". Ce cri vient de tous les continents. Il faut ajouter à ces mots : "libérez sa femme, Liu Xia, assignée à résidence". Et une fois partis, libérez la quarantaine d'autres écrivains incarcérés dont le nom apparaît sur la liste des écrivains emprisonnés de PEN international. Et cessez de harceler les citoyens loyaux, dont plusieurs sont membres du PEN chinois indépendant. Ils ne font rien d'autre qu'exercer leurs droits constitutionnels.

Liu Xiaobo décrirait probablement toutes ces arrestations et tous ces harcèlements comme des tensions superficielles venues d'une crise profonde. Pour une raison ou une autre, Beijing n'arrive pas à voir que ses actions minent sa propre crédibilité en Chine. Le mandat venu du ciel, dont jouissaient les dynasties impériales chinoises, a été perdu par ceux qui en disposaient. Ils le perdent quand ils cessent d'assurer que justice est rendue. Quant à l'influence que les autorités chinoises cherchent à exercer dans le monde, elle est elle aussi ébranlée. Ce sont là des blessures que la Chine s'est infligées à elle-même.

Le leadership et l'influence ont besoin d'un poids économique ou militaire. Mais ils dépendent aussi en grande partie d'un élément de confiance. Et l'échec de Beijing quand il s'agit d'appliquer la transparence qui sied à la liberté d'expression et aux droits de la personne nuit constamment à son effort d'inspirer confiance ailleurs dans le monde.

L'appel que lance Liu Xiaobo est clairement inscrit dans la Charte 08 qui a à ce jour été signée par des milliers de citoyens chinois qui vivent en Chine. Quand Beijing tente de dénigrer la charte en prétendant qu'elle correspond à des influences occidentales, elle manifeste une naïveté surprenante. Ces principes de liberté d'expression, de droits humains et d'égalité sont des normes auxquelles on aspire tout aussi bien en Asie qu'en Europe, dans les Amériques et en Afrique. La forme peut bien sûr en varier selon la société, mais ces normes sont clairement affirmées dans la constitution chinoise et elles sont ancrées de longue date dans l'histoire de la Chine.

Mao Zedong l'a affirmé clairement dans son essai Contradictions (1957). Le romancier préféré de Mao, Lu Xun, se gaussait de dirigeants autoritaires qui tentaient de contrôler la population en l'empêchant de s'assembler et en lui défendant de parler : "Le principal problème, c'est qu'on ne peut empêcher les hommes de penser". Il y a des échos de Lu Xun dans le style vif et mordant de Liu Xiaobo. Confucius lui-même aurait probablement signé la Charte 08 : "Qu'y a-t-il de remarquable chez un homme qui manque de tolérance alors qu'il occupe une position élevée ?" La réalité est la suivante. Il y a à l'intérieur de la Chine une division classique entre les réformateurs et les autoritaires. Plusieurs réformateurs se retrouvent à l'extérieur de la structure du pouvoir, comme Liu Xiaobo. Il y en a plusieurs à l'intérieur. Ils peuvent souhaiter des types et des quantités distincts de réformes. Peut-être qu'ils ne se connaissent pas bien les uns les autres, ou qu'ils ne s'aiment guère. Mais ils ont en commun le désir d'une société plus égale et plus ouverte.

De l'autre côté, on trouve les hommes du pouvoir, effrayés par le changement. Ils semblent agir sous la protection des forces de sécurité et d'une certaine partie du système juridique.

Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pouvoir, les réformateurs représentent une force importante. Le prix pour la paix de Liu Xiaobo peut à première vue sembler avoir provoqué des mesures de répression. Mais en octobre, le Comité central a tenu sa réunion annuelle et c'était comme si le prix avait fait éclater l'illusion totalitaire que la Chine pourrait gagner le respect international sans réforme politique ou sociale.

LES AMIS DE LA CHINE

Les autorités chinoises continuent à affirmer que les Occidentaux s'acharnent sur elles, que ce prix de la paix n'en est qu'un nouvel exemple. Mais c'est le contraire qui est vrai, en fait. Partout à travers le monde les gens veulent devenir les amis de la Chine. Et pas seulement pour des raisons économiques. Prenez les dizaines de milliers d'écrivains dans plus de cent pays qui appartiennent au PEN. Pourquoi ne souhaiterions-nous pas entretenir une relation active et amicale avec l'une des plus grandes cultures de la planète ? Le rôle de la Chine dans tous les domaines – environnemental, militaire, d'aide au développement – est essentiel.

La question qui se pose est de savoir ce que nous voulons dire par amitié. Selon la terminologie en usage pendant la guerre froide, on était pour ou contre la Chine. L'amitié correspondait à une sorte de loyauté aveugle ; aucune critique de part et d'autre. Pour ceux d'entre nous qui admirons la Chine et y avons vécu, c'est une approche tout à fait insatisfaisante.

De plus en plus de personnes, comme l'Australien Kevin Rudd, soulignent qu'en chinois, le concept entier d'amitié – un véritable ami – est zhengyou : quelqu'un qui est ouvert et honnête, qui ne craint pas de critiquer, ce à quoi on peut s'attendre d'un ami personnel de longue date. En fait, ce prix Nobel de la paix peut être vu comme un geste d'amitié envers la Chine.

Permettez-moi de rendre tout ceci avec les mots d'un écrivain. Ceux que le régime emprisonne sont en général ses meilleurs amis ; susceptibles et mal à l'aise, comme de bons écrivains et de vrais amis. De nombreuses personnes au gouvernement souhaitent qu'il y ait moins de corruption, un meilleur traitement pour les travailleurs, moins d'accidents dans les mines, un système d'éducation publique plus approprié, un système de santé publique correct. Ils veulent une société plus juste. Toutes choses qui sont très présentes dans le message des écrivains qu'on arrête.

Il y a une vérité bien établie qui est liée à ces messages. La liberté d'expression, même si elle ne peut rien garantir, est néanmoins ce qui rend les réformes possibles.

C'est la raison pour laquelle une voix courageuse comme celle de Liu Xiaobo doit être célébrée. Le premier geste de cette célébration, ce serait de le libérer.

Par John Ralston Saul, président de PEN international.

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