L’objectif de l'Etat islamique est de provoquer une politique de réaction identitaire

Devant la Grande Mosquée de Strasbourg, le 20 novembre 2015. Photo : PATRICK HERTZOG.AFP
Devant la Grande Mosquée de Strasbourg, le 20 novembre 2015. Photo : PATRICK HERTZOG.AFP

Pour qui s’intéresse aux phénomènes de guérilla et de terrorisme, les cibles des attaques du 13 novembre 2015 ont été terriblement bien pensées. Les lieux de mixité sociale ou d’ouverture culturelle deviennent des cibles privilégiées dès lors que l’objectif est de polariser la société. Cette stratégie, l’Etat islamique l’avait proclamée dans la 7e édition de son magazine, Dabiq : «A la fin, la zone grise sera anéantie et il n’y aura plus de place pour les appels et les mouvements gris. Il n’y aura plus que le camp de la foi contre le camp de la mécréance » (1). Cette idéologie eschatologique qui ne voit qu’en blanc et noir est née suite à l’intervention américaine en Irak de 2003, dans la triple matrice des prisons américaines, de la paranoïa de la clandestinité et des nettoyages ethniques des milices chiites. Le manichéisme de l’Etat islamique s’est imposé dans des pans de l’Irak et de la Syrie en éliminant modérés, minorités et mixité, les personnes et les lieux qui entravent la réduction du conflit à un affrontement du bien contre le mal.

Le 13 novembre, l’Etat islamique a pour la première fois appliqué sa stratégie en France. Les bars et restaurants du Xe et du XIe sont fréquentés par des gens relativement jeunes, éduqués, issus des classes moyennes supérieures, des élites qui par leurs engagements, leurs relations sociales, leurs votes ou encore leurs choix professionnels défendent une France ouverte et tolérante. Le public du Stade de France est probablement l’un des plus mixtes socialement, l’un des très rares endroits où les inégalités entre Paris et ses banlieues s’effacent pour un temps. Comme en Irak et en Syrie, l’Etat islamique cherche à éliminer tout ce qui existe entre son public cible, les Français de confession musulmane, et le reste de la société. L’objectif est de provoquer une politique de réaction identitaire qui exclurait les musulmans et amènerait ces derniers à reconnaître le mouvement islamiste comme leur porte-voix.

Une telle stratégie vise l’Europe dans son ensemble, mais la société française est une cible privilégiée à deux égards. D’une part, François Hollande s’est mis au premier rang de la «lutte contre le terrorisme» en Irak et Syrie. Il engage ainsi la France à la suite des Etats-Unis dans d’inefficaces campagnes de bombardements contre l’Etat islamique, n’agissant pas néanmoins contre la racine du problème : des régimes sectaires qui excluent et massacrent leurs propres populations. De l’autre, la société française traverse une crise de son modèle d’intégration plus forte que les autres pays européens, laissant sur le carreau une part de plus en plus importante des classes moyennes et des catégories populaires. Il n’est pas étonnant que, en l’absence de réponse politique à travers des mesures sociales (logement, urbanisme, éducation, protection sociale, redistribution), une partie de la population française cherche des perspectives auprès des discours identitaires de l’extrême droite et des mouvements islamistes. Cet échec est d’abord celui d’élites politiques, médiatiques et intellectuelles qui ignorent - voire parfois alimentent - ce double mouvement d’exclusion des non-musulmans par les islamistes et des musulmans par l’extrême droite.

Le succès de la stratégie de l’Etat islamique dépend moins de l’attaque elle-même que des réactions qu’elle suscite au sein de la société française : durcissement des discours, actes de représailles contre les musulmans, accroissement des contrôles policiers, mesures d’exception. L’objectif de l’Etat islamique est d’entraîner une réponse exclusivement sécuritaire qui entérinerait la transformation de problèmes sociaux en questions identitaires. Ce serait une grave erreur. S’il importe de tout faire pour empêcher de nouveaux attentats, il est vain d’espérer les éviter. Un accroissement supplémentaire des moyens policiers n’empêchera pas une attaque de se produire dans trois, six mois ou un an sur des cibles impossibles à toutes protéger : lieux publics, restaurants, écoles, églises, hôpitaux… Contrer la stratégie de polarisation de l’Etat islamique implique dès lors de ranimer un modèle démocratique et inclusif qui réponde aux inégalités et au ressentiment qu’exploitent de telles attaques. La classe politique, les intellectuels, les journalistes et plus largement les Français doivent prendre conscience que, plus que les appels à l’unité de la nation et à la fermeture des frontières, seul le retour des politiques sociales rendra à tous le sentiment d’appartenir à la même communauté politique.

Adam Baczko, Visiting Fellow à l'IWM (Vienne), chercheur à Noria Research (Paris)

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