Loi liberticide sur les médias en Hongrie: l’incident n’est pas clos

Le 16 février, le gouvernement hongrois a pu croire que la controverse suscitée par sa nouvelle loi sur les médias était close et qu’il pourrait enfin assumer, la tête haute, la présidence tournante de l’Union européenne.

Ce jour-là, en effet, Neelie Kroes, la commissaire européenne en charge de la stratégie numérique, s’était «réjouie» de la décision de Budapest d’amender des dispositions de la loi pointées du doigt par les autorités européennes.

Le 7 mars, conforté par cette caution de Bruxelles, le Parlement hongrois, largement dominé par le Fidesz, le parti conservateur du premier ministre Viktor Orban, a adopté sans peine les amendements proposés.

Incident clos? Non. En fait, la Hongrie n’a convaincu que ceux qui étaient avides de l’être, en particulier les gouvernements européens qui étaient empressés de se défaire d’une polémique embarrassante et qui, surtout, n’appréciaient guère que la Commission se mêle de la situation politique interne d’un Etat membre.

La riposte, cependant, s’organise: en Hongrie, parce que la société civile, les médias indépendants et les associations professionnelles estiment que cette loi, même amendée, est le symbole d’une dérive autoritaire et «illibérale» du pouvoir et qu’elle risque d’être suivie par d’autres régressions; à Bruxelles, parce que des parlementaires européens, particulièrement au sein des groupes socialiste, libéral et écologiste, mais aussi certains Etats membres, notamment scandinaves, craignent que l’absolution accordée «un peu trop rapidement» par la Commission ne constitue un précédent regrettable si elle revient à passer l’éponge sur la transgression de principes fondamentaux.

Les associations de défense de la liberté d’expression sont également sur le pied de guerre. Depuis quelques jours, elles se consultent pour constituer une coalition internationale sur la Hongrie et organiser, le plus tôt possible, une mission à Budapest.

Les amendements adoptés par le Parlement hongrois n’ont pas convaincu non plus le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OCSE), des institutions qui se veulent les garantes du socle des libertés fondamentales.

Le 8 mars, des conseillers de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, nous ont confirmé que les changements ne remettaient pas en cause l’avis très négatif rendu fin février qui évoquait «l’impact corrosif de la loi» et sa transgression de «l’esprit et de la lettre» de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le même jour, Dunja Mijatovic, la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, a estimé que «la législation hongroise, en dépit de récents ajustements, continuait à violer les principes de l’organisation». «Elle risque d’être détournée pour étouffer des voix alternatives et dissonantes», a-t-elle ajouté.

Les critiques portent sur de nombreux aspects de la loi, notamment sur la notion de «couverture équilibrée» de l’actualité. Mais elles visent surtout le contrôle politique pyramidal que s’est arrogé le gouvernement, par le biais notamment d’une haute autorité des médias, véritable mégère de la presse, nommée pour neuf ans et contrôlée par des personnalités liées au parti majoritaire.

Paradoxalement, si la Hongrie avait été un pays candidat à l’adhésion, sa loi sur les médias n’aurait pas répondu aux critères exigés par l’Union en matière de liberté de la presse et elle aurait été sommée de s’amender. Aujourd’hui que la Hongrie est membre de l’UE, elle n’est plus tenue de respecter des obligations qui sont imposées aux pays en attente, comme la Turquie.

L’Union européenne est au pied du mur car elle n’est pas seulement un conglomérat d’Etats régentés par des règles techniques et des directives. Elle est aussi une communauté de valeurs. La liberté de la presse en est un élément essentiel, comme l’avait d’ailleurs rappelé le président de la Commission José Manuel Barroso lors de sa visite à Budapest début janvier.

Le gouvernement de Viktor Orban participe ainsi à un processus inquiétant de «désintégration européenne», qui fragilise les valeurs dont l’UE se réclame. Il formalise aussi, par sa dénonciation incantatoire de «l’ingérence de Bruxelles», la renaissance de nationalismes crispés dont l’Europe avait voulu se libérer.

La loi hongroise, comme d’ailleurs le «système Berlusconi» en Italie, met aussi à l’épreuve la crédibilité internationale de l’Union. Celle-ci, en tolérant qu’un Etat membre fragilise des normes fondamentales de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias, affaiblit sa propre prétention à proposer son modèle à des pays, notamment au sein du monde arabe, en transition vers la démocratie.

La tolérance de législations et de pratiques liberticides risque finalement de servir d’alibi aux gouvernements autoritaires. La loi hongroise offre en l’occurrence une espèce de vade-mecum pour les gouvernants qui rêvent de mettre leur propre presse au pas. Elle constitue dès lors une menace pour tous les journalistes qui luttent pour davantage de liberté.

Par Jean-Paul Marthoz, conseiller européen du Comité de protection des journalistes à New York.

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