L’OMC, voie sacrée pour les pays pauvres ?

La IXe conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui se tient jusqu’à aujourd’hui à Bali, doit relancer le «cycle de Doha». Lancé en 2001, ce dernier devait placer le développement des pays pauvres au cœur de l’agenda mondial. Mais des divergences trop profondes entre pays développés, émergents et en développement ont compromis sa conclusion en 2005. Aujourd’hui, dans une ultime tentative de réanimation de ce cycle «comateux» de Doha, il s’agit, à Bali, de décrocher quelques accords partiels. Un objectif bien maigre au regard des enjeux et de l’évolution récente des négociations commerciales. Convaincue que la libéralisation du commerce est vectrice de développement, l’Union européenne et ses Etats membres sont favorables à sa conclusion. Les instances européennes placent le commerce au centre du dispositif de lutte contre la pauvreté dans le monde. En plaidant pour davantage d’insertion des pays pauvres dans le commerce mondial et en préconisant le renforcement de l’OMC pour traquer les éventuelles tendances protectionnistes, elles entendent ainsi instaurer un cercle vertueux entre commerce, compétitivité, croissance. Un postulat qui procède plus du dogme idéologique que d’une réalité avérée. La mondialisation de l’économie, dopée par la libéralisation des échanges, loin de bénéficier à l’ensemble des pays en développement (PED), a au contraire davantage marginalisé les pays moins avancés (PMA). La libéralisation des échanges hâtive entamée par beaucoup de PED à faible revenu dans les années 80-90 a, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), mené à leur désindustrialisation prématurée et a intensifié leur dépendance et vulnérabilité aux fluctuations extérieures. A l’inverse, les pays qui ont réduit substantiellement leur niveau de pauvreté absolue sont ceux qui ont ouvert leurs économies modérément, graduellement, conformément au stade de développement de leurs capacités de production. Lier les problèmes des économies pauvres à leur manque d’intégration dans l’économie globale est donc une erreur que devraient méditer les Etats de l’UE à Bali, d’autant que trois autres bonnes raisons invitent à freiner cette course folle vers toujours plus de libéralisation.

D’abord, les questions commerciales préemptent le débat démocratique. Les droits de douane désormais au plus bas, le processus de libéralisation des échanges s’attaque désormais aux «obstacles techniques au commerce». Comprenez les normes sociales, environnementales, de sécurité, de santé publique ou de protection de consommateurs. Sous un jargon commercial, se cachent donc des questions éminemment citoyennes qui exigeraient transparence et débat public. En érigeant l’OMC comme «modèle de développement», l’UE fait ainsi du respect des droits humains un objectif subsidiaire aux considérations commerciales. Ensuite, en agitant l’épouvantail du «protectionnisme», les pays industrialisés laissent entendre que de la libéralisation commerciale naît la prospérité. Or, privilégier un modèle de développement «taille unique» axé sur une stratégie d’exportation peut s’avérer pervers.

Au Cambodge, les effets collatéraux de l’initiative européenne «Tout sauf les armes», qui accorde aux pays les plus pauvres un accès libre au marché européen, en est un exemple éloquent. Les avantages commerciaux consentis par l’UE, en aiguisant l’appétit des entreprises sucrières, ont indirectement dopé l’accaparement des terres.

Enfin, les règles du commerce international doivent évoluer au regard de l’urgence climatique. Il faut promouvoir une économie de petites et moyennes entreprises, irriguant des marchés principalement locaux, régionaux et nationaux, moins génératrice d’émissions de gaz à effet de serre, plutôt qu’une économie dominée par des multinationales taillées pour un marché mondial. En opérant ce changement de paradigme, l’UE gagnerait en crédibilité dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais bien plus encore dans la mise en œuvre de l’article 208 du traité de Lisbonne, qui fait de l’éradication de la pauvreté une de ses priorités.

Toutefois, la marginalisation de l’OMC en faveur d’arrangements bilatéraux, régionaux et plurilatéraux dans lesquels sont exigés des pays pauvres des concessions refusées dans les enceintes multilatérales - notamment en matière de propriété intellectuelle - ne constitue nullement une alternative. Si l’abandon de l’approche multilatérale des négociations commerciales est à proscrire, la réforme de l’OMC s’impose tout autant. L’enjeu étant de s’assurer que les accords commerciaux soient réellement équilibrés et conformes aux engagements internationaux pris par l’UE pour répondre aux défis sociaux et écologiques, qu’il s’agisse des Objectifs du millénaire pour le développement, de la lutte contre le changement climatique ou de la préservation de la biodiversité. L’intérêt collectif l’exige.

Eva Joly, députée européenne Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), présidente de la commission développement du Parlement européen et Inès Trépant, politologue.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *