L’ordonnance du 26 août sur le « burkini » ne règle rien

Saisi en appel d’un référé liberté, le Conseil d’Etat désavoue le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), qui avait pris un arrêté contre le « burkini », et le tribunal administratif de Nice qui ne l’avait pas suspendu. Il le fait dans des termes simples et clairs, allant directement au but avec l’économie de moyens dont il est coutumier.

Son ordonnance est incontestable lorsqu’il mentionne la Constitution en premier dans les visas, là où le tribunal administratif de Nice mentionnait d’abord la Convention européenne des droits de l’homme. Le débat est-il tranché pour autant, comme le clament les partisans du burkini, les tenants d’une conception absolutiste des droits de l’homme et les médias ? Nullement, car l’ordonnance n’est qu’une décision d’espèce et se présente comme telle. Elle laisse en outre planer un doute sur les bases de la politique juridique du Conseil.

Au cours du débat public qui a occupé les esprits depuis le début du mois d’août à partir de la trentaine d’arrêtés similaires pris par diverses communes, nombre d’arguments ont été échangés. Contre ces arrêtés, les arguments sur la liberté de manifester ses convictions religieuses dans l’espace public, la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté individuelle ont été avancés.

Une mesure provisoire

Pour leur légalité, nous avons eu d’autres arguments : le principe de laïcité auquel portent atteinte des manifestations ostentatoires de croyance religieuse, la discrimination que traduit le port de vêtements couvrant intégralement le corps des femmes, l’expression spectaculaire d’une soumission féminine que consacre le Coran et qui ne devrait pas trouver place dans l’espace public.

Au centre, l’ordre public que ces exhibitions menacent de troubler, dans le contexte de tension qui fait suite aux attentats, notamment celui du 14 juillet à Nice, proche de Villeneuve-Loubet. Son maire, se fondant sur son pouvoir de police municipale, a entendu prévenir les troubles que pouvaient provoquer ces ostentations de foi religieuse peu appropriées dans le contexte vacancier et ludique de la baignade.

De ce débat, de l’argumentation du maire et de celle du tribunal administratif, le Conseil d’Etat ne retient rien. Balayée la laïcité, oubliée la discrimination, foin des droits des femmes. Il trace rapidement son chemin vers la suspension, par une série d’affirmations relevant de l’imperatoria brevitas (impératif de brièveté) qui lui est chère.

L’ordonnance n’est certes qu’une mesure provisoire, sans autorité de chose jugée, mais en réalité il s’agit bien d’un jugement sur lequel le Conseil ne reviendra sans doute pas en raison de la force des termes qu’il utilise. Une justice rapide, mais un jugement accéléré, mais un jugement expéditif. Il repose en effet sur son interprétation de l’ordre public. Le Conseil déclare qu’il n’est pas troublé par le burkini. Or cette appréciation est à la fois subjective, et à géométrie variable dans sa jurisprudence.

Le Conseil se comporte en juge

Le Conseil se réfère à une conception étroite de l’ordre public, celle de l’absence de violences ou de manifestations hostiles sur les plages. C’est très bien, mais le Conseil d’Etat n’a pas toujours eu cette conception restrictive. L’ordre public est avec lui une sorte de Fregoli du droit administratif.

Dans d’autres affaires, il a incorporé à l’ordre public un principe de dignité, qui lui a permis par exemple de condamner le « lancer de nains » ou d’interdire un spectacle de Dieudonné alors qu’aucune manifestation hostile ne le visait. Dans l’affirmation du jour, le Conseil se comporte en juge du fait et substitue son appréciation à celle du maire, comme un supérieur hiérarchique. Ce faisant, il ne rend qu’une décision d’espèce, ce qui est au demeurant la nature du référé, puisque dans d’autres circonstances l’ordre public pourrait justifier l’interdiction du burkini. Il est donc inexact de dire que cette ordonnance du 26 août « fait jurisprudence » ou tranche la question.

Ajoutons que le raisonnement du juge sur la condition d’urgence, nécessaire à l’admission du référé, est tout à fait curieux. Pour lui, ce n’est pas une condition de l’admission du référé, mais une simple conséquence de l’illégalité qu’il affirme. Donc, dès qu’il y a illégalité, il y a urgence. Toute illégalité, même virtuelle et sans application immédiate, justifie une suspension par référé liberté. Ce n’est pas ce que prévoit l’article L 521-2 du code de justice administrative qui fait de l’urgence une condition préalable.
Une politique de gribouille

On peut penser qu’il y a d’autant moins urgence en l’occurrence que la méconnaissance de l’arrêté est sanctionnée par une simple amende, qui peut être contestée devant le juge judiciaire. A supposer que l’arrêté soit illégal, celui-ci l’écartera, et donc l’amende. Entre condition et conséquence, le Conseil d’Etat inverse les termes de l’article L 521-2 et pratique une politique de gribouille. Mais ce qui lui importe est de suspendre.

L’ordonnance ne peut trancher les questions de fond, et il reviendra éventuellement au Parlement de le faire. On ne saurait reprocher au Conseil d’Etat de rester sur le plan du droit positif et de ne pas se comporter en législateur. On peut en revanche lui demander neutralité et impartialité et de ne pas faire intervenir des positions militantes dans la décision. Or, dans cette ordonnance, les déclarations antérieures de l’un des trois juges posent un sérieux problème d’impartialité.

Dans un rapport sur la politique d’intégration de la France, en 2013, il a rejeté l’intégration, remplacée par une « société inclusive » et dénoncé « la célébration du passé révolu d’une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires ». La laïcité est-elle au nombre de ces traditions imaginaires ? Au Coran et à son affirmation de l’infériorité des femmes, on peut préférer la Constitution de 1946 et l’égalité des sexes – un passé révolu ? Il est triste d’observer qu’une décision rendue le jour anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ignore à ce point la dignité des femmes.

Serge Sur, professeur émérite en droit public à l'université Paris-II Panthéon-Assas.

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