L’UE face au Covid : le IIIe acte européen

Il y a cinq raisons d’y croire. La panique, c’est vrai, peut encore l’emporter. Elle pourrait tout défaire et jusqu’à l’Union elle-même, mais il y a, pourtant, cinq raisons de croire que l’unité européenne sortira renforcée de cette crise et aborde, enfin, l’union politique, son IIIe acte après le marché commun et la monnaie unique.

La première de ces raisons est qu’il serait improbable que les propositions de la France et de l’Allemagne ne soient pas, l’un dans l’autre, adoptées par l’ensemble des Etats membres, car le poids de la Suède, du Danemark, de l’Autriche et des Pays-Bas, les quatre pays qui continuent de s’y opposer, est extrêmement relatif.

Si l’on prend le PIB européen, ils n’en assurent, à eux quatre, que 14 %, contre 42 % pour la France et l’Allemagne et 64 % dès qu’on ajoute Rome et Madrid à Paris et à Berlin. Si l’on prend, maintenant, le budget de l’Union, Stockholm, Copenhague, Vienne et La Haye y contribuent pour cinq fois moins que la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Cela n’empêche évidemment pas que ces «quatre radins» puissent s’obstiner. Juridiquement parlant, ils en auraient les moyens puisque tout ce qui est budgétaire requiert l’unanimité mais, politiquement parlant, on ne les voit pas s’isoler durablement en s’inscrivant dans un front du refus. Ces quatre-là finiront par grappiller de petits avantages avant de céder. S’ils ne s’y décidaient vraiment pas, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et l’essentiel de l’Union pourraient agir sans eux dans le cadre d’un accord entre Etats, d’une commune démarche souveraine, et l’on peut ainsi considérer que les propositions franco-allemandes sont virtuellement acceptées. Or elles changent tout.
Ce n’est pas seulement que les Etats qui bénéficieront de ces 500 milliards empruntés par l’Union n’auront pas à rembourser euro pour euro à la caisse commune, puisque les remboursements se feront, comme les contributions au budget, sur la base de la richesse des Etats concernés. Exactement comme entre les régions d’un même pays, la solidarité financière s’inscrit dans la culture et le fonctionnement de l’Union, dans sa normalité, alors même qu’il y a moins de trois semaines encore, l’Allemagne refusait toute idée d’emprunt commun.

Cela suffirait à parler d’une révolution. C’est la deuxième raison de croire au IIIe acte de l’unité européenne, mais Emmanuel Macron et Angela Merkel sont allés bien plus loin. Ils proposent aussi de marcher ensemble vers la transition verte et numérique de nos 27 économies ; vers une imposition minimale des sociétés, notamment des géants du Web ; vers une harmonisation des régimes sociaux européens et la mise en place d’un salaire minimum dans chacun des Etats membres ; vers une politique commune de la santé, domaine restant, jusqu’à présent de la seule compétence des Etats ; vers une relocalisation, dans les frontières de l’Union, des industries stratégiques, et vers une évolution des règles européennes de la concurrence afin de permettre la constitution de champions industriels européens.

On ne l’a pas encore assez vu. On ne l’a pas encore assez dit. En plus de la solidarité financière qu’exprimera cet emprunt, ce que la France et l’Allemagne viennent de proposer, c’est d’affirmer une souveraineté industrielle de l’Union sur la scène internationale. C’est neuf, totalement neuf. C’est une rupture avec l’idée qu’il faille systématiquement délocaliser là où les coûts de production sont les plus bas afin de privilégier les intérêts de l’actionnaire et du consommateur sur ceux du travailleur. C’est une complète rupture avec ce postulat de la pensée économique dominant le monde, Europe comprise, depuis quelque quarante ans. C’est la troisième raison de croire au IIIe acte mais ce ne sont là que mots, dira-t-on.

Oui, en effet, mais, outre que toute politique commence par des mots, ceux-là n’ont pas été prononcés par Andorre et la Barbade et ne l’ont pas été pour rien. L’idée de «souveraineté européenne» relève, au contraire, du credo d’Emmanuel Macron depuis qu’il s’était porté candidat à la présidentielle et s’est désormais imposée à Angela Merkel parce qu’elle a compris que l’industrie allemande, tout bien considéré, ne pouvait plus se passer du marché et de la monnaie uniques alors que les importations chinoises vont se ralentir et qu’outre-Atlantique les barrières douanières se redressent.

C’est la quatrième raison de croire au IIIe acte et il y en a une cinquième. Dans cette crise, la chancelière a regardé le monde tel qu’il changeait avant même la pandémie et elle a vu les Etats-Unis se replier, quel que soit leur prochain président, sur leurs frontières et leur bras de fer avec la Chine ; une Russie en déclin qui ne pourra s’arrimer à rien sans Union européenne, et une Chine que ses contradictions économiques et politiques conduisent à toujours plus d’agressivité dans ses périphéries.

Plus que jamais, a-t-elle vu, l’unité européenne est indispensable aux Européens et au monde, et il se trouve que la chancelière qui a intégré cette réalité prend la présidence tournante de l’Union le 1er juillet et a repris assez d’autorité sur sa scène intérieure pour pouvoir ne plus penser qu’au legs qu’elle veut maintenant laisser.

Du jour, mercredi 13 mai, où elle avait rappelé aux députés allemands que Jacques Delors estimait que l’union monétaire ne suffirait pas et qu’il faudrait aussi une «union politique», les jeux étaient faits. Comme la France, l’Allemagne veut aller aujourd’hui vers une Union économiquement et politiquement souveraine, vers une union politique, vers une Europe puissance acteur de la scène internationale, et les propositions qu’elles viennent de formuler en jettent les premières pierres.

Bernard Guetta, député européen (groupe Renew Europe).

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