L’Ukraine au centre de la confrontation Biden-Poutine

L’Ukraine au centre de la confrontation Biden-Poutine
Photo: Aleksey Filippov Agence France-Presse

Au début de janvier, en même temps que l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis, les violations du cessez-le-feu entre les forces locales de l’Ukraine et celles de ses deux régions sécessionnistes du Donbass, soutenues en sous-main par Moscou, devenaient de plus en plus fréquentes. Kiev a alors dépêché vers leurs frontières d’importants contingents militaires. Ceux-ci n’avaient plus rien à voir avec les forces lamentables qu’étaient celles de l’Ukraine lors de leur sécession en 2014. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères affirmait qu’elles étaient capables de reprendre ces territoires ; ce qui était effectivement possible, à moins d’une intervention directe de Moscou. Prenant cette fois ses désirs pour une réalité possible, il affirmait que l’Ukraine pourrait reprendre la Crimée. Non sans raison, on misait à Kiev sur l’arrivée de Biden, qui avait été l’envoyé spécial d’Obama en Ukraine chargé du dossier et du soutien politique et militaire des États-Unis à l’Ukraine.

À Moscou, on s’attendait avec son arrivée à un net durcissement de la politique américaine à tous égards. Autant pour maintenir le statu quo au Donbass que pour démontrer à Biden la détermination de la Russie à défendre ses intérêts par la force si nécessaire, Poutine fit déployer d’énormes dispositifs militaires tant au nord du Donbass qu’au nord de la Crimée. Dmitri Kozak, un des trois principaux bras droits de Poutine est allé jusqu’à affirmer qu’une tentative de reprendre le Donbass par la force pourrait sonner la fin de l’État ukrainien ; soit son démembrement total. Dans son discours solennel à la Nation, le 21 avril, Poutine a fait la mise en garde suivante à l’endroit de Washington : « Que personne n’envisage de franchir “une ligne rouge avec la Russie”… » Il considère sans doute que le message a été assez fort pour qu’il puisse, peu après, réduire les effectifs militaires à la proximité de l’Ukraine.

Il faut préciser ici que Poutine n’a jamais envisagé une annexion du Donbass. Celui-ci est une hypothèque qu’il détient sur l’avenir du positionnement international de l’Ukraine. Il entend la conserver pour empêcher une adhésion de celle-ci à l’OTAN ; et c’est sur cet enjeu que porte la « ligne rouge » qui ne doit pas être franchie.

Pendant sa campagne électorale et à la suite de son élection triomphale de 2019 comme président de l’Ukraine avec 73 % des suffrages, Volodymyr Zelensky, qui avait mené sa campagne en ukrainien et en russe, s’était engagé à résoudre le conflit du Donbass dans le cadre des accords de Minsk qui piétinent depuis 2015 et à rapprocher ses concitoyens russophones et ukrainophones. Ce fut une défaite cuisante pour l’extrême droite nationaliste. C’est sous la pression de celle-ci qu’on avait bloqué en 2014 la diffusion de 14 canaux de télévision russe. Quelques chiffres sont éloquents : 46 % des Ukrainiens affirment parler souvent en russe à la maison. En 2012, 83 % des journaux et 87 % des livres étaient publiés en russe. En 2017, malgré l’interdiction d’importations en provenance de Russie, 60 % des livres vendus en Ukraine étaient en russe.

Référendum d’abord

Pour obtenir une adhésion plus rapide à l’OTAN, promise à la Géorgie et à l’Ukraine en 2008 sans échéance précise, Petro Porochenko, le président défait par Zelensky, avait envisagé de tenir un référendum là-dessus bien que ce ne soit pas là une exigence de l’OTAN. Il estimait que l’absence des Ukrainiens du Donbass et de la Crimée lui permettrait de l’emporter. Mais comme les sondages donnaient des résultats très serrés, il renonça à le faire. Ces sondages montraient bien que, même en excluant la Crimée, dont plus des deux tiers des citoyens sont d’origine russe, la majorité des Ukrainiens veulent éviter une plus grande détérioration des relations avec la Russie. Ce n’est pas parce qu’ils soutiennent les politiques de Poutine. C’est en raison d’une parenté et d’un lien avec l’héritage culturel de la Russie. Ils préfèrent bien davantage le régime démocratique de l’Ukraine à celui de Poutine.

Dans sa campagne électorale et jusqu’à l’automne dernier, Zelinsky avait mis en veilleuse la question de l’adhésion à l’OTAN en affirmant qu’il faudrait pour cela tenir un référendum. Il entendait faciliter ainsi les négociations avec Moscou sur le degré d’autonomie du Donbass. En raison de l’intransigeance de Moscou, de la baisse importante de sa popularité due à une décroissance économique de 5 % et de l’activisme de l’extrême droite, il a changé d’avis depuis l’automne dernier. Les sondages récents donnant 41 % d’appui à cette question, il ne mentionne plus du tout la nécessité d’un référendum pour remettre l’objectif à l’ordre du jour. Lors d’un séjour à Paris, le 16 avril dernier, où il rencontra Emmanuel Macron, il affirma au cours d’une entrevue avec Le Figaro : « Nous ne pouvons demeurer indéfiniment dans la salle d’attente de l’Union européenne et de l’OTAN. »

En novembre dernier, il a été convenu que le prochain sommet de l’OTAN se pencherait sur la question de l’octroi du « Membership Action Plan » à d’éventuels nouveaux membres ; ce qui nécessite l’unanimité des membres et déclenche le processus d’inclusion à l’Alliance atlantique. Sans surprise, les républiques baltes entendent proposer l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, et le premier ministre ukrainien affirmait le 9 février qu’il espérait l’obtenir.

Il y a de fortes chances pour que la promesse d’inclusion faite à l’Ukraine et la Géorgie en mai 2008 s’avère finalement être une promesse creuse. Rappelons que cette promesse avait été arrachée à l’OTAN par George W. Bush en raison du veto de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne à l’octroi du « Membership Plan », parce qu’ils craignaient une réaction militaire de la Russie. Non sans raison, car cette simple promesse, sans échéance précise, a entraîné, quelques mois plus tard, une guerre de la Russie avec la Géorgie et son démembrement partiel. Empêtré dans les guerres d’Afghanistan et d’Irak, Bush a dû se contenter de condamnations et de sanctions plutôt mineures. Comme la France et l’Allemagne ont parrainé avec la Russie et l’Ukraine les accords de Minsk de 2015 pour mettre fin à la guerre du Donbass qui s’étendait, et qui exigent une autonomie à négocier, on voit mal comment elles pourraient sanctionner une adhésion à l’OTAN.

On verra bientôt si « la ligne rouge » de Poutine sera franchie. Si elle ne l’est pas, la promesse creuse de l’OTAN n’aura servi et ne servira à Poutine qu’à légitimer l’impérialisme et le revanchisme russe dans ce qu’il appelle « la sphère des intérêts légitimes de la Russie » pour éviter le terme devenu politiquement incorrect de sphère d’influence.

Jacques Lévesque, Professeur émérite, Faculté de science politique et de droit, UQAM.

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