L’Ukraine serait-elle l’Allemagne du XXIe siècle ?

Les accords de Minsk 2 signés le 12 février réaffirment le «plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine» tout en entérinant de fait les conquêtes territoriales des séparatistes prorusses. De façon générale, depuis un an, l’intégrité de l’Ukraine semble d’autant plus affirmée dans les déclarations officielles qu’elle s’efface sur le terrain. Si cette scission, qui ne dit pas son nom, devait s’avérer durable, elle appellerait immanquablement une comparaison historique : la séparation progressive de l’Allemagne en deux, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

L’annexion de la Crimée avait, en son temps, suscité de vifs débats quant à l’opportunité de la comparaison avec la crise des Sudètes de 1938. Au sujet du conflit dans le Donbass, la chancelière Merkel a récemment proposé une analogie moins polémique en évoquant le cas de l’Allemagne de l’Est, dont elle est originaire. Il s’agissait pour la chancelière de souligner que la force n’avait pas été la solution à la division de l’Allemagne, et ne résoudrait pas davantage la division de l’Ukraine. Cependant, l’analogie mérite d’être approfondie.

En Allemagne aussi, la marche vers la scission se fit à reculons.

En 1945, les alliés victorieux envisageaient d’administrer conjointement le pays, dans le cadre d’un Conseil de contrôle allié, et de signer, à terme, un traité de paix avec un nouveau gouvernement allemand. En 1946, le ministre des Affaires étrangères soviétique, Molotov, et son homologue américain, Byrnes, se déclaraient encore favorables à l’unité allemande. Pourtant, un problème de taille allait progressivement vider ces mots de leur contenu.

En ce début de guerre froide, chaque camp craignait par-dessus tout que son rival ne réalise l’unité allemande à son profit, afin de s’en servir comme tête de pont. Soviétiques et Occidentaux privilégièrent donc la consolidation de leurs zones d’occupation respectives.

En 1948, le Conseil de contrôle allié cessa de fonctionner.

En 1949, deux Etats allemands furent proclamés, un à l’Ouest, un à l’Est. En somme, tout le monde était pour l’unité allemande, mais personne n’était prêt à en prendre le risque.

Ce scénario peut-il nous aider à penser l’avenir de la question ukrainienne ? Comme dans le cas allemand, il est permis de penser que les Russes ne souhaitent pas plus diviser l’Ukraine que les Européens. Cependant, leur principale crainte est que la réunification ukrainienne sous l’autorité d’un gouvernement central pro-européen ne se traduise à terme par l’élimination de leur influence dans le pays.

De la même façon, il y a un an, lors des manifestations de Maidan, les Occidentaux ne pouvaient admettre qu’une population largement pro-européenne soit réprimée par un gouvernement lié à Moscou.

Comme en 1946, la question est : «Est-il possible de faire coexister deux sphères d’influence dans un seul Etat ?» La solution fédéraliste envisagée par certains ne serait peut-être qu’une solution transitoire, car la défiance entre les camps risque d’aboutir à la même paralysie institutionnelle que celle que connut le Conseil de contrôle allié en Allemagne. Même si les diplomates continuent à proclamer leur attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, il est possible que la scission en deux Etats se révèle à terme la seule solution stable.

Ce scénario devrait inciter les Européens à réfléchir à leur mode d’action.

Imposer à la Russie de coûteuses sanctions économiques ne pourra jamais constituer une réponse à un problème de long terme. Une alternative pourrait s’inspirer de la politique suivie par les Occidentaux en Allemagne : ne pas lutter contre la division, mais consolider une Allemagne de l’Ouest tournée vers l’Europe. En aidant l’Ukraine pro-européenne à rebâtir et à défendre un Etat et une économie viables même en cas de sécession des régions prorusses, l’Union européenne pourrait, tout à la fois, œuvrer à la construction d’une paix durable, stabiliser son voisinage et affirmer son rôle international.

Si la division de l’Allemagne a rendu possible la naissance de la construction européenne au XXe siècle, une nouvelle ruse de l’histoire pourrait ainsi aboutir à ce que la division de l’Ukraine lui offre un nouveau souffle au XXIe siècle.

Pierre Haroche, Docteur en science politique, enseignant en relations internationales à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne

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