Lula, un prisonnier politique?

Capture TV de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva en route pour São Paolo où il a été emprisonné. Brésil, 7 avril 2018. © JEFFERSON COPPOLA/VEJA
Capture TV de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva en route pour São Paolo où il a été emprisonné. Brésil, 7 avril 2018. © JEFFERSON COPPOLA/VEJA

Pourquoi l’ancien président du Brésil Lula est-il confiné en cellule d’isolement, privé de la plupart de ses visites et interdit de parole publique? Ce traitement d’exception, habituellement réservé aux criminels dangereux, soulève des interrogations. Il fait suite à la condamnation à douze ans de prison du leader du Parti des Travailleurs (PT), pour avoir supposément reçu un appartement triplex en échange de faveurs attribuées à l’entreprise OAS. De l’aveu même du Ministère public, cette sentence dépourvue de base matérielle ne s’appuie que sur les convictions des enquêteurs. Au cours d’un procès à charge, le juge n’a su ni attester l’usufruit du triplex par Lula, ni identifier un acte de favoritisme commis lors de son mandat présidentiel.

L’incarcération de Lula laisse planer le doute sur la partialité de la justice vis-à-vis des suspects de tous bords du scandale Petrobras, une gigantesque affaire de corruption dont le cas du «triplex de l’OAS» n’est qu’un infime branchage. Les positions à géométrie variable de la plus haute cour du pays, le Tribunal suprême fédéral (TSF), ont suscité la circonspection de nombreux juristes. D’un côté, le STF s’est montré inflexible vis-à-vis de Lula, notamment en autorisant son emprisonnement avant l’épuisement des recours judiciaires. De l’autre, il a refusé, malgré les demandes répétées du procureur général, d’émettre un mandat d’arrêt contre Aécio Neves, chef de file de la droite brésilienne pris en flagrant délit d’extorsion de fonds en 2017.

Equilibre démocratique menacé

Dans le contexte de la «Lava Jato», la vaste opération judiciaire qui accompagne le scandale Petrobras, certains membres du Tribunal suprême fédéral ont pris d’étranges libertés avec le principe de neutralité. Le plus controversé d’entre eux, Gilmar Mendes, a échangé quarante-trois appels téléphoniques en deux mois avec Aécio Neves mis en examen. Sa présidente, Carmen Lucia, a reçu à son domicile l’actuel chef de l’Etat Michel Temer, qui fait l’objet d’une enquête de la cour pour des faits graves de corruption. Ces comportements biaisés menacent l’équilibre démocratique. En adoubant l’incarcération de Lula, la justice élimine le favori de l’élection présidentielle d’octobre 2018, alors que son concurrent de centre droit, Geraldo Alckmin, mis en examen pour détournement de fonds, vient d’être sauvé des griffes de la «Lava Jato». Contre toute attente, la candidature d’Alckmin pourra être maintenue, en vertu du transfert de son dossier vers le Tribunal supérieur électoral, un organe aux procédures notoirement lentes.

L’agenda politique qui semble guider certains magistrats est peut-être à lire dans la continuité de l’impeachment de Dilma Rousseff (PT), chassée de la présidence de la république en 2016 par une manœuvre du Congrès au profit de son vice-président Michel Temer. Rousseff n’est pas seulement l’une des rares personnalités à ne traîner aucune casserole judiciaire: elle avait aussi, à la tête de l’exécutif, décuplé la force de frappe de la «Lava Jato», en élargissant le délit de corruption et les compétences des juges en matière de négociation de peine. Une conversation téléphonique enregistrée, peu avant sa destitution, à l’insu du sénateur Romero Juca, chef du parti conservateur désormais au pouvoir (MDB), donne le vertige. Il y est question d’échafauder «un grand accord national» pour remplacer Rousseff par Temer (lui aussi MDB), avec le concours du «Suprême» (le TSF) et les «généraux» de l’armée nationale comme garantie. La tentation est donc grande d’interpréter l’impeachment de 2016 comme une forme sophistiquée de coup d’Etat, destinée à mettre une clique de politiciens corrompus à l’abri de la justice. De fait, les deux tiers des ministres nommés alors par Temer étaient des suspects de la «Lava Jato» ou d’autres enquêtes.

Menaces d’intervention armée

Le nouveau président n’a pas hésité à puiser dans les caisses de l’Etat pour acheter le vote des parlementaires, afin d’obtenir le classement des affaires pénales le concernant. Son arrivée au pouvoir a entraîné un dévoiement des objectifs de la «Lava Jato», dans un contexte de dégradation de l’Etat de droit et de chantage au putsch militaire. A mots à peine couverts, le général Villas Boas, chef de l’Etat-Major, a en effet menacé le pays d’une intervention de l’armée en cas de décision du TSF favorable à Lula. Le système de gouvernement informe qui se met en place depuis 2016 repose sur des relations de pression entre les institutions politiques, judiciaires et militaires, et de complicité entre certains des individus clés qui les composent. Si sa culpabilité n’est pas prouvée avant la tenue des prochaines élections, Lula restera dans l’histoire comme le premier prisonnier politique de cette «non-démocratie».

Antoine Acker, historien.

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