L’Union européenne veut briser notre identité au nom de la démocratie

[Peu connue à l’étranger, l’historienne hongroise Maria Schmidt est pourtant l’une des intellectuelles les plus influentes de son pays. Elle est notamment l’inspiratrice et la directrice  d’un des monuments les plus visités de Budapest : la Maison de la terreur, cet ancien siège des Croix fléchées, parti fasciste pro-nazi, puis de la police politique communiste, transformé en musée en 2000 sous le premier gouvernement de Viktor Orban. Une mise en scène tape-à-l’œil y fait passer aux visiteurs un unique message : la Hongrie a été au XXe siècle sous le joug de deux totalitarismes comparables : le fascisme et le communisme.

Ce musée est ce qui résume le mieux l’œuvre de cette femme de 65 ans, farouche adversaire du libéralisme européen : l’utilisation de l’histoire à des fins politiques. Chargée en 2016 de diriger les commémorations du soulèvement de 1956, Maria Schmidt résume celui-ci à un vaste mouvement populaire, passant sous silence le rôle du premier ministre d’alors Imre Nagy, et plus largement des intellectuels hongrois qui avaient conçu et pris part à cette révolution.

Perçue par certains Hongrois comme encore plus idéologue que Viktor Orban dont elle a été la conseillère de 1998 à 2002, Maria Schmidt est une des figures marquantes de la « démocratie illibérale », un mouvement qui dépasse évidemment les frontières hongroises et dont en France, Chantal Delsol est l’un des principaux relais.]

Au terme de presque un demi-siècle de dictature communiste, l’implosion de l’empire soviétique, l’indépendance de la Hongrie et la conquête de la démocratie ont été des expériences enthousiasmantes pour mon pays et pour moi-même. Forte de ces expériences, la Hongrie a pu entrer libre et indépendante dans le XXIe siècle.

Jamais nous, Hongrois, n’avons soutenu le régime communiste qui nous a été imposé et, en 1956, comme nous l’avons prouvé en nous soulevant contre lui dans une glorieuse révolution. Le peuple de Hongrie a fait preuve d’une bravoure sans précédent en prenant les armes contre l’empire soviétique mondial.

Nous nous sommes lancés dans cette lutte inégale parce que la survie de notre pays, l’estime que nous avons de nous-mêmes et notre dignité étaient en jeu. Car la dictature s’était attaquée à tout ce qui a de la valeur à nos yeux : la famille, la nation et notre foi en Dieu ; elle voulait remplacer nos héros et nos fêtes nationales ; elle tournait en dérision tout ce dont nous sommes fiers et tout ce à quoi nous vouons du respect. Notre combat pour la liberté a été impitoyablement écrasé et il a été suivi de cruelles représailles, mais les communistes ont dû accepter un compromis reposant sur une peur mutuelle.

Un Etat fondé il y a 1 100 ans

D’un côté, ils redoutaient le peuple de Hongrie parce qu’ils savaient qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’aller trop loin. De l’autre, nous les craignions car nous savions qu’ils ne reculeraient devant rien pour rester au pouvoir.

Le socialisme du goulasch, de Kádár, qui suscitait les commentaires flatteurs de l’Occident, est resté en place grâce à cette peur mutuelle. Mais dès qu’il fut clair que les dirigeants soviétiques ne déploieraient pas l’Armée rouge pour maintenir leur empire en vie, nous avons décidé de reconquérir sans délai notre liberté.

Le 16 juin 1989, nous avons « réenterré » les héros de 1956 et, à ce moment-là, le jeune Viktor Orban a été la première figure de la région à réclamer publiquement l’indépendance et des élections libres.

Nous vivons depuis lors dans un pays démocratique et pas une seule minute nous n’avons oublié la valeur de la démocratie. Notre indépendance est à nos yeux la base même de notre liberté. Notre Etat a été fondé il y a 1 100 ans ; il y a 30 ans, nous avons repris notre destinée en mains pour pouvoir définir librement les valeurs auxquelles nous voulons nous tenir.

Aussi, le fait que certains, le plus souvent des gauchistes, des communistes, actuels ou anciens, pour la plupart, osent dépeindre mensongèrement la démocratie hongroise comme une dictature est particulièrement répugnant. Nous avons une longue expérience de la dictature et nous sommes tout à fait en mesure de la distinguer de la démocratie.

Bonzes du gauchisme

Nous n’avons aucun besoin de leçons de la part des gens qui n’ont jamais vécu la dure réalité de la dictature communiste et qui n’ont jamais voulu savoir ce qu’est réellement le socialisme, de crainte que la vérité ne trouble leurs rêveries utopiques. Après la chute du communisme, nous étions pleins d’illusions sur l’Europe occidentale. Nous ne connaissions pas l’Occident et nous pensions qu’il serait tout aussi enthousiasmé à l’idée de nous accueillir que nous l’étions à l’idée de la réunification de l’Europe.

Puis nous avons compris qu’il ne se réjouissait pas du tout de notre nouvelle liberté. Les bonzes du gauchisme considéraient notre expérience socialiste comme une chose extrêmement importante et progressiste, et ils s’irritaient de nous voir y mettre fin. S’unifier avec nous ? Alors que la division de l’Europe leur avait été si profitable et qu’elle avait assuré leur irresponsable opulence ?

Il n’y avait de place ni pour la générosité, ni pour un beau geste, ni pour quelque nouvelle forme de plan Marshall que ce soit. Nos marchés et nos services publics ont été rachetés (Suez a pris le contrôle de la gestion de l’eau) et nous avons dû nous soumettre à un « processus d’adhésion » où nous devions satisfaire leurs conditions afin de devenir membres de leur Union européenne en 2004. On nous a réservé le traitement qui est d’habitude celui des vaincus.

Dans l’Union, on nous fait constamment sentir que nous sommes considérés comme des gens de peu. Lors de la crise financière de 2008, par exemple, on ne nous a témoigné aucune solidarité. D’emblée, il était clair que le filet de sécurité financière n’irait pas jusque chez nous.

Incessante guerre idéologique

Entre-temps, l’Union européenne et les représentants des élites occidentales influentes en son sein mènent une incessante guerre idéologique à notre encontre. Leur opération a pour nom de code « démocratie ». Ils nous attaquent à coup de prétextes solidement étayés, mais dans l’intention manifeste de nous façonner à leur image, de casser notre résistance, de nous rompre l’échine et de briser notre identité.

Tout cela, ils le font en invoquant à tout va le « libéralisme ». Mais ils ne savent pas que le mot « libéralisme » est maudit depuis l’Alliance des démocrates libres (1990-2010), cette formation hongroise de l’élite soixante-huitarde occidentale. Huit années après sa disparition, l’adjectif « libéral » évoque encore à lui seul des souvenirs négatifs aux Hongrois. Quant à l’expression « démocratie libérale », elle leur rappelle la « démocratie populaire » d’autrefois – qui était pratiquement une « non démocratie ».

Parce que les représentants des élites occidentales veulent nous dicter comment penser notre histoire et quel rôle accorder aux valeurs chrétiennes dans nos vies. Comment élever nos enfants, comment concevoir les relations entre hommes et femmes. Comment nous courtiser et quelles règles adopter dans notre vie privée. Ils iraient jusqu’à regarder sous nos draps pour contrôler si nous aussi nous avons notre #metoo.

Il y a trente ans, nous sommes redevenus libres et indépendants. Nous avons dû réapprendre beaucoup de choses depuis le début parce que ce que nous avions appris sous le socialisme s’avérait inutile dans une démocratie et une économie de marché. Nous y sommes parvenus à grand prix. Les premières années, plus d’un million de personnes ont perdu leur emploi. Nous avons appris à vivre dans une économie de marché.

Aucune magnanimité

En 2004, nous avons également dû apprendre les règles de l’Union. Nous nous sommes remis de la crise économique de 2008. Nous nous en sommes sortis en nous prenant en mains. La croissance du PIB est de 4 %. Le taux de chômage est inférieur à 3 %. Les salaires réels ont progressé de 40 % ces dernières années.

Les menaces de l’élite libérale sont sans effet sur nous. Nous voulons décider librement avec qui nous vivons dans notre pays et comment. Nous n’entendons pas suivre de directive imposée par autrui. Nous n’avons jamais colonisé personne, donc nous ne sommes pas tourmentés par des complexes de culpabilité et ne devons de compensation à qui que ce soit.

Si les pays occidentaux décident de se laisser inonder par les migrants, c’est leur décision et c’est à eux d’en subir les conséquences. Ils ne doivent pas s’attendre à ce que nous fassions preuve de solidarité parce qu’eux non plus, n’ont pas fait preuve de solidarité à notre égard. Ils n’ont pas partagé avec nous les fruits du colonialisme, ils ne nous ont pas fait profiter de leurs richesses pendant la guerre froide.

Après la chute du communisme non plus, ils n’ont fait montre d’aucune magnanimité. Et c’est pour cela que le niveau de vie de la population en Europe n’est pas le même si l’on se trouve dans la moitié occidentale ou dans la moitié orientale du continent. Nous continuons de gagner moins d’un tiers de ce qu’un Européen de l’Ouest gagne en moyenne, écart qui provoque une fuite continue de notre main-d’œuvre vers l’Ouest.

Morale et calomnie

La Hongrie est un pays prospère et libre, qui a ses propres intérêts. Nous avons l’intention de faire valoir ces intérêts au sein de l’Union. Nous en resterons membres tant que notre adhésion restera avantageuse pour nous. Parce que cette relation n’est pas sentimentale. Mais elle aurait pu l’être. En 1990, nous pensions effectivement qu’elle le serait. Nous avions fait tomber le rideau de fer et c’est nous qui avons retiré la première brique du Mur de Berlin. Mais nous n’avons rien reçu en retour.

Même aujourd’hui, les grands pontes de l’Occident ne cessent de nous faire la morale et de nous calomnier. Mais venez nous voir. Vous verrez de vos propres yeux que la Hongrie est un pays sûr qui ne cesse de se développer. Un pays où prospèrent la liberté de parole et la liberté de la presse. Nous ne connaissons pas le diktat du politiquement correct. Chacun peut y exprimer et y exprime librement ses opinions. Il n’y a pas de censure. La liberté de réunion est totale. La police est courtoise et amicale ; elle n’envahit pas nos espaces publics. Budapest est une ville bouillonnante.

La vie sous une dictature est une chose radicalement différente. On accuse la Hongrie d’être une dictature, d’être corrompue, d’avoir un équilibre des pouvoirs et un Etat de droit défaillants, mais ce ne sont là que des tentatives d’ingérence étrangère similaires à celles dont nous avons eu le malheur de faire l’expérience lorsque, en vain, on a tenté de nous faire avaler de force l’idéologie communiste.

Les auteurs vicieux du traité de Versailles

Nous sommes un pays chrétien fier de son histoire et fier de s’être toujours battu pour sa liberté. Nous sommes courageux et jamais nous ne nous sommes laissé soumettre. Pas même après la première guerre mondiale, lorsque les auteurs vicieux et irresponsables du traité de Versailles ont envisagé de mettre un terme à l’existence de notre nation.

Il a fallu cent ans aux pays de notre région pour comprendre que ces traités de paix avaient été conçus pour nous empêcher de nous entendre les uns les autres. Aujourd’hui, ce qui nous sépare de nos voisins a bien moins de poids que ce qui nous unit. Nous considérons l’Union européenne comme une alliance libre entre des nations libres et égales. Et tant qu’elle le restera, elle peut compter sur nous.

Par Maria Schmidt, Directrice de la Maison de la terreur à Budapest. Traduit de l’anglais par Valentine Morizot.

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