Mario Draghi, l’actuel président de la Banque centrale européenne (BCE), considéré comme moins « allemand » que son prédécesseur Jean Claude Trichet, serait disposé – il l’a annoncé en juillet et l’a répété en septembre – à faire preuve de bienveillance au plan monétaire afin de contribuer à une dépréciation de l’euro sur le marché des changes, et par là favoriser la compétitivité de nos produits à l’exportation. Mais il s’agit en fait d’une utopie.
Une dépréciation de la monnaie unique des membres de la zone euro – à la différence de la dévaluation d’une seule monnaie nationale – favoriserait en principe l’ensemble des pays de la zone. Cela ne changerait donc en rien la compétitivité du prix des produits français par rapport à ceux des autres membres de la zone, dont les produits allemands, puisque le taux de dépréciation serait identique – c’est-à-dire unique – pour tous.
Cela dit, avant d’aller plus loin dans cette hypothèse, l’euro est-il vraiment, comme on l’affirme couramment, « surévalué » ? Cela est-il même possible, dans un marché devenu aussi libre que celui des changes pour les grandes devises convertibles, depuis qu’elles peuvent flotter sans limites les unes par rapport aux autres ?
En effet, en cas de divergence entre la valeur authentique et le cours du marché d’une monnaie, les arbitrages de place devraient corriger en temps réel les écarts momentanés. Dans cette optique, le Conseil d’analyse économique (CAE), qui conseille le premier ministre, Manuel Valls, s’interrogeait, dans une étude présentée en janvier (« L’euro dans la guerre des monnaies »), sur la réalité de cette surévaluation et la possibilité d’une fiction.
Abandon de souveraineté
Sans compter que Mario Draghi n’est pas seul sur l’échiquier monétaire mondial. Il a notamment comme partenaire Janet Yellen, présidente de la Réserve fédérale (Fed, banque centrale américaine). On imagine mal celle-ci rester inerte face à une dépréciation de l’euro. A savoir, de son point de vue, une appréciation du dollar, qui aurait pour effet de rendre moins compétitifs les produits américains à l’exportation.
Une telle évolution ne pourrait que contribuer à accroître le déséquilibre de la balance américaine des transactions courantes et rendre ainsi les Etats-Unis encore plus dépendants, pour son financement, des dollars détenus par les banques centrales asiatiques.
D’où pour l’euro un autre face-à-face, cette fois-ci avec le yuan chinois, pour l’instant arrimé au dollar et qui, par ricochet, aurait à s’apprécier. Or, l’expérience prouve qu’il est difficile d’imposer contre son gré à Pékin sa politique de change, et notamment la réévaluation de sa monnaie.
Encore une fois, on peut mesurer combien la gestion de la parité externe de la monnaie unique échappe à ses tuteurs, dont la mission quasi exclusive est d’ailleurs de se consacrer à la maîtrise de la stabilité monétaire interne. Nous avons, en adoptant l’euro il y a quinze ans, abandonné notre souveraineté en matière de change, et nous devons nous en accommoder. Il ne peut donc y avoir de politique active de change de l’euro ; ni dépréciation ni dévaluation.
« Nationaliser » l’euro
La seule forme de dévaluation qui reste à notre portée – afin de rendre nos prix compétitifs – est celle de la dévaluation interne, c’est-à-dire la flexibilité des salaires à l’instar de ce que pratiquent l’Allemagne et le Royaume Uni où les commerces sont ouverts le dimanche, où le salaire minimum est très bas et où la durée minimale hebdomadaire de travail garantie peut tendre vers zéro avec le « zero hour contract »…
En définitive, l’euro apparaît comme le virus de l’Europe et entraîne celle-ci à sa perte ainsi qu’en témoignent l’ensemble des clignotants dans les pays dits périphériques de l’Allemagne (dont la France), que ce soit le chômage, dont la courbe ne s’inverse pas, la croissance, qui n’est jamais au rendez-vous, et les déficits publics, qui s’accroissent malgré les plans d’austérité, lesquels ne font d’ailleurs que contracter l’activité économique dans un cycle infernal.
Ne faut-il pas « sacrifier la monnaie » pour sauver l’économie, ainsi que cela se pratiquait antérieurement lorsque l’expansion se faisait désirer ? Dans le cas de l’euro, « sacrifier la monnaie » serait accepter qu’il s’érode par le biais d’un taux d’inflation raisonnable, afin de relancer la demande. Mais cela semble inacceptable pour nos partenaires allemands.
D’où, pour sauver l’économie de l’Europe et en premier lieu celle de la France, la nécessité de « nationaliser » l’euro, de le rebaptiser en « euro franc », et de pouvoir recourir par là à une politique de change autonome et active.
Bruno Moschetto est professeur de sciences économiques à Paris-I-Sorbonne et à HEC. Il est l’auteur de Tout savoir - ou presque - sur la face cachée de l’euro (2e édition), Arnaud Franel Editions, 2013.