Macron : chapeau les artistes !

«Priorité au direct», coupa tout d’un coup Léa Salamé. Et l’image de France 2 bascula vers une porte, gardée par un musclé à oreillette. Une, deux, trois secondes, on resta en tête à tête avec cette porte et le musclé qui gardait cette porte. Et puis, Salamé nous expliqua : c’était la porte du QG d’Emmanuel Macron, par où allait sortir le vainqueur du premier tour, pour se rendre devant ses militants, quelques centaines de mètres plus loin. Et on put traduire «priorité au direct», en langage de la télé d’Etat, ça voulait dire «priorité au vainqueur». Finie la stricte égalité entre tous les candidats, et toutes ces sornettes de campagne. Comme les tournesols, France 2 enfin délivrée se tournait vers son soleil à elle : le pouvoir.

S’il reste quelques citoyens qui n’ont pas compris comment les médias ont imposé Macron comme une évidence, alors qu’ils se précipitent sur le replay de la soirée électorale de France 2. Toute la mécanique s’y dévoile. Evidemment, il y a la collection complète des couvertures de l’Obs, les éditos à répétition des snipers de Challenges, les opportunes pétitions d’économistes. Tout ceci constitue un bloc de propagande visible. Mais le plus efficace, sans doute fut-ce la propagande invisible.

Les réactions politiques du tout-venant expédiées après l’annonce des résultats, sonnèrent donc sur France 2 l’heure du vainqueur. Il allait sortir, il sortait de son QG. Il prenait un bain de foule. «On va le suivre avec nos motos», annonça fièrement Léa Salamé. Les motos étaient donc de sortie. Avaient-ils retrouvé la vieille moto de feu Benoît Duquesne, sur laquelle le reporter avait suivi Chirac dans les rues de Paris, au soir de sa victoire en 1995 ? France 2 avait-elle renouvelé son parc motocycliste ? Les motos le suivirent d’abord jusqu’à son discours devant les militants. «On a l’impression de voir un président élu, et c’est assez impressionnant», s’émerveilla le journaliste Jeff Wittenberg, sans réaliser que ces «images d’un président élu», il en était lui-même le fabricant, lui et sa chaîne, et tous les autres.

On suivit encore Macron alors qu’il se dirigeait vers «une brasserie de Montparnasse», escorté de ce commentaire compréhensif de France 2 : «Il ne respecte pas les feux rouges. Pour des raisons de sécurité, sans doute.» Dans l’écriture télévisuelle française, ce type de course-poursuite motorisée est habituellement réservé à la berline du vainqueur du second tour. Si on pistait ainsi Macron, pourquoi ne pistait-on pas pareillement Marine Le Pen à Hénin-Beaumont ?

Cette «brasserie de Montparnasse», une chaîne en dévoila le nom, dans un grand élan de transparence. C’était La Rotonde, un des rendez-vous favoris de l’intelligentsia de la rive gauche. «Les soirs d’élection, il arrive que les brasseries entrent dans l’histoire», expliqua un audacieux. Passa le fantôme du Fouquet’s. France 2 n’étant pas admise, la caméra tenta de distinguer les heureux élus à travers les baies vitrées. Sans succès. Mais toute cette mise en scène disait assez qu’elle avait choisi son vainqueur.

Comment quelques médias dominants ont fait passer le fils préféré de Hollande, l’un des maîtres d’œuvre occultes du quinquennat sortant, pour le champion du renouvellement ? Comment Macron a réussi à recycler la vieille rengaine bayrouïste du «ni droite ni gauche, entre les deux, et prenons donc le meilleur des deux» ? L’histoire n’a pas fini d’être racontée. Sur son tout nouveau site, le Feu à la plaine, Aude Lancelin, ex-directrice adjointe de l’Obs, licenciée l’an dernier dans les conditions que l’on sait, y voit la main invisible d’une poignée de propriétaires de presse, au premier rang desquels Xavier Niel et Patrick Drahi. Les journalistes des titres concernés se récrieront : c’est tout seuls, comme des grands, qu’ils sont tombés amoureux de la belle histoire ! Il est peu probable qu’on ait un jour le «smoking gun» du complot du CAC 40. Mais on ne l’a jamais, dans ces affaires. On a rarement des preuves aussi flagrantes que les textos d’intimidation de Dassault à Dupont-Aignan, dévoilés par ce dernier dans les derniers jours de la campagne. Tout au plus peut-on constater des concomitances. Ne négligeons pas non plus la part de la chance, et les exfiltrations successives, de Sarkozy, de Fillon, de Juppé, de Hollande, de Valls, de Hamon. Reste que le coup est magistral. Chapeau les artistes, quels qu’ils soient.

Daniel Schneidermann

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