Macron et de Gaulle, la vraie analogie

Le président élu Emmanuel Macron, cérémonie du 8 mai. Paris © REUTERS/Francois Mori
Le président élu Emmanuel Macron, cérémonie du 8 mai. Paris © REUTERS/Francois Mori

Emmanuel Macron se différencie de Charles de Gaulle d’abord par un détail: le premier est de loin le plus jeune président de la Ve République, élu peu avant ses 40 ans, le second le fut à près de 68 ans. Valéry Giscard d’Estaing, jusqu’à aujourd’hui le benjamin sous cet angle, l’a été à 48 ans, Nicolas Sarkozy avait 52 ans, Georges Pompidou et François Hollande 58, Jacques Chirac 63 et François Mitterrand 65. Ce nonobstant, la précocité du nouvel occupant de l’Elysée n’empêche pas maints observateurs de tirer un parallèle avec le doyen des présidents de la République française.

Là où la comparaison pèche, c’est lorsque l’on met en balance la situation du général revenant à la tête du gouvernement le 13 mai 1958, puis à la présidence le 8 janvier 1959, et celle du chef d’En marche! ce 7 mai 2017. Or, les deux cas sont dissemblables à bien des égards: en premier lieu, de Gaulle, lorsqu’on le rappela, était rompu aux affaires tandis que Macron y est largement novice. Ensuite, la France en pleine décolonisation, ayant perdu l’Indochine et en passe de renoncer à l’Algérie, alors partie intégrante du territoire national, se vivant encore comme une grande puissance au cœur d’une Europe se reconstruisant, se cherchait comme aujourd’hui des repères, mais ne doutait pas de son modèle républicain: les défis intérieurs étaient bien réels, la classe politique discréditée, mais les enjeux principaux relevaient de la géopolitique. Sans qu’elle soit négligeable, elle joue actuellement un rôle moindre, même si l’avenir de l’UE, de la zone euro et le libre-échange sont des thèmes importants; les droits humains, la multiculturalité, la politique économique, les acquis sociaux sont au premier rang des enjeux. En outre, la personnalité du vieux lutteur militaire, héros national, se distingue de celle de l’énarque et banquier, brièvement ministre, qui vient d’accéder à la fonction suprême. Enfin, le retour au pouvoir de De Gaulle résultait d’un consensus étendu, en dépit de la réaction farouche de Mitterrand (dénonçant en 1964 le «coup d’Etat permanent»); à l’inverse, on peut penser que Macron a recueilli les voix de 24% de partisans effectifs le 23 avril 2017, au premier tour électoral, et quatorze jours plus tard de 42% d’électeurs le soutenant par défaut, sans grandes illusions sur la politique qu’il mènera, mais déterminés à barrer la route à une candidate ultranationaliste.

Un chef sans parti

Surtout, si de Gaulle avait su très rapidement constituer en 1958 une formation politique présidentielle, l’UNR (absorbant en 1962 l’UDT, de centre gauche), Macron ne s’appuie que sur un mouvement embryonnaire et sur les ralliements individuels de centristes, de socialistes et de bourgeois. Cela peut changer, mais paraît fragile. Plus instructive est en revanche la similitude entre les situations macronienne de ce printemps et gaullienne de l’immédiat après-guerre.

Elles se ressemblent en ceci que l’une et l’autre font voir un chef sans parti, peu porté à estimer le monde parlementaire ordinaire. De Gaulle explique sans détour dans ses Mémoires de guerre son dédain à l’égard de ceux qu’il tient pour des politicards, peu soucieux de l’intérêt public; autre parallèle, de Gaulle en 1945 faisait face à une droite et à une gauche classiques mal en point et à une puissante force extrémiste – non pas de droite comme le Front national (FN) de Marine Le Pen et La France insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon, mais le Parti communiste de Maurice Thorez. Cette solitude finit, jugea-t-il, par l’empêcher de gouverner et le 8 janvier 1946 il démissionna, entamant une longue «traversée du désert».

L’illusion du potentiel d’En marche!

Un soldat ne se transforme pas en politicien si facilement: l’erreur stratégique fut considérable. Croyant pouvoir grâce à son aura dépasser victorieusement les clivages partisans, il fonda le Rassemblement du peuple français (RPF), qui au-delà d’un succès initial, néanmoins insuffisant pour assurer son accès au pouvoir, végétera durant les douze ans de la IVe République, se délitera et ne servira à rien en 1958.

Macron serait bien inspiré de se souvenir de cet exemple. S’illusionner sur le potentiel d’En marche! risque de lui être fatal. Volens nolens, il devra prendre en compte la capacité de nuisance parlementaire non pas tant du FN et de FI, avant tout rhétorique, mais des caciques déconsidérés mais pas morts de la droite et de la gauche classiques (UMP et PS), pour inventer une gouvernance nouvelle, basée sur des accords de programme autant que de désistement, sans tomber dans les majorités très éphémères de la IVe République. Sachant qu’il n’a pour l’essentiel pas été élu pour lui-même mais contre son adversaire principal, Macron aura fort à faire. Il serait imprudent d’attendre le résultat des élections législatives imminentes pour s’y atteler. Et le temps à disposition est très court pour y parvenir.

Luc Recordon, ancien conseiller aux États.

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