Mais où sont passés tous les électeurs anti-Brexit ?

Où se cachent tous les électeurs britanniques hostiles au Brexit ? Et pourquoi aucun parti ne peut-il les représenter ? C’est le mystère non résolu de l’élection britannique qui va avoir lieu le 12 décembre. En juin 2016, 17,4 millions – un tiers des 52 millions de citoyens britanniques âgés de plus de 18 ans et ayant donc le droit de vote – ont choisi de quitter l’Union européenne (UE). Dans la plupart des démocraties, un plébiscite modifiant les arrangements constitutionnels, économiques, sociaux et de politique étrangère d’un pays exige les suffrages d’au moins la moitié des électeurs.

Le référendum de 2016 était un plébiscite populiste sur l’immigration. La propagande du « Leave » proclamait que 79 millions de Turcs étaient sur le point d’entrer dans l’UE et pourraient vivre au Royaume-Uni. Le camp pro-Brexit a gagné par 52 % des suffrages exprimés contre 48 %, mais tous les sondages d’opinion réalisés ces trois dernières années ont montré qu’une majorité d’électeurs souhaitaient désormais rester dans l’UE.

Lors des élections générales de 2017, grâce aux voix anti-Brexit, Theresa May a perdu sa majorité. En 2019, pour les élections au Parlement européen, les libéraux-démocrates (LibDem), les Verts, le Parti national écossais (SNP, indépendantiste) et les Gallois proeuropéens ont obtenu de bons résultats aux dépens des conservateurs antieuropéens. Mais le Parti travailliste, dirigé par Jeremy Corbyn, un eurosceptique de longue date dans la tradition d’un Jean-Pierre Chevènement ou d’un Jean-Luc Mélenchon, refuse toujours de se joindre au camp anti-Brexit. Corbyn a insisté sur le fait que la décision du référendum sur le Brexit de 2016 ne pourrait pas être contestée.

Manifestations géantes pour un nouveau référendum

La direction du Parti travailliste a refusé de faire cause commune avec les partis anti-Brexit à la Chambre des communes, malgré le soutien manifeste à l’UE de l’écrasante majorité des militants du Parti travailliste et de la plupart des députés – 70 % des électeurs travaillistes avaient voté non au référendum.

En 2018 et 2019, des manifestations géantes ont été organisées à Londres, réunissant un million de citoyens de tout le Royaume-Uni pour demander la tenue d’un nouveau référendum sur le Brexit. Un des paradoxes du Brexit a été de susciter les plus grandes manifestations populaires organisées en faveur de l’UE jamais vues en Europe. Des centaines de milliers d’électeurs travaillistes ont participé, mais pas Jeremy Corbyn, qui a ordonné aux chefs travaillistes de boycotter les manifestations. Cet échec des forces anti-Brexit à trouver une unité politique a affaibli les efforts déployés pour monter une opposition multipartite efficace contre la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

Alors que la presse antieuropéenne – environ 80 % des lecteurs britanniques – publie quotidiennement une propagande anti-UE accusant ceux qui s’opposent au Brexit de « trahison », la presse de centre gauche, comme le Guardian et le New Statesman, continue de publier des tribunes gauchistes accusant l’UE d’être un projet néolibéral.

Les partis d’opposition continuent de s’entre-déchirer

Contrairement à la France, où personne n’avait remis en cause en 2005 la victoire des forces populistes antieuropéennes lors du référendum, la Grande-Bretagne connaît une résistance grandissante en faveur de l’UE qui n’a pas réussi à devenir une force politique. En vérité, tous les partis d’opposition sont d’accord pour dire qu’un nouveau référendum est nécessaire pour sortir de l’impasse, mais ils continuent de s’entre-déchirer.

La jeune dirigeante libérale démocrate Jo Swinson consacre toute son énergie à des attaques personnalisées contre Jeremy Corbyn. A son tour, le Parti travailliste attaque Mme Swinson en l’accusant d’avoir voté pour des politiques d’austérité de droite et des coupes de crédits dans les services publics lorsqu’elle était ministre sous le gouvernement conservateur-libéral démocrate de 2010 à 2015.

En France, les électeurs peuvent rester fidèles à leurs convictions lors du premier tour d’une élection puis, lors du second tour, soutenir le front républicain ou le candidat le mieux placé pour vaincre le candidat dont ils ne veulent pas. En Grande-Bretagne, cette option n’existe pas. Il n’y a qu’un seul tour de scrutin et celui qui obtient le plus grand nombre de voix est élu.

Décomposition du système politique britannique

Les travaillistes et les libéraux démocrates présentent des candidats dans chacune des 650 circonscriptions. Ils divisent donc le vote anti-Brexit. Seulement un petit nombre d’arrangements ont été conclus, au niveau local, entre les libéraux-démocrates, le minuscule parti Vert et les nationalistes gallois. Mais les travaillistes, les lib-dem et le SNP restent extrêmement « tribaux ». Les autres partis sont des concurrents, voire des ennemis.

Dans le camp pro-Brexit, Nigel Farage, le fondateur de l’UKIP (extrême droite), aide Boris Johnson en retirant ses candidats du Brexit Party dans les circonscriptions où le député conservateur sortant est clairement engagé en faveur de la sortie de l’UE. Les forces anti-Brexit sont divisées. Ce d’autant plus que les ténors de la campagne anti-Brexit sont des hommes politiques tel Tony Blair, encore largement méprisé à cause de son choix de participer à la guerre en Irak (2003-2011), ou des conservateurs âgés, comme l’ancien vice-premier ministre Lord Heseltine, 82 ans.

Malgré tous les sondages d’opinion montrant qu’une majorité de citoyens britanniques est opposée au Brexit, il reste impossible de trouver une voix nouvelle et dynamique pour plaider au niveau national la cause de l’Europe. C’est un signe de la décomposition actuelle du système politique britannique et de la faible qualité de ses leaders. Les responsables politiques britanniques ont passé près de quatre ans à se déchirer sur l’Europe. Mais Boris Johnson, Rupert Murdoch, Donald Trump et Vladimir Poutine savent, eux, ce qu’ils veulent : le lent démembrement de l’Union européenne. Et ils sont persuadés que leur objectif sera atteint.

Denis MacShane est ancien ministre des affaires européennes (2002-2005) dans le gouvernement de Tony Blair. Il a écrit quatre livres sur le Brexit. Le dernier est Brexiternity. The Uncertain Fate of Britain (2019, I. B. Tauris, non traduit).

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