Malgré les apparences, l’Iran n’est pas un danger pour Israël

Les relations entre l’Iran et Israël relèvent du paradoxe. On pourrait penser que des peuples non arabes du Moyen-Orient auraient tout intérêt à entretenir de bonnes relations afin de s’épauler mutuellement pour contrebalancer l’influence arabe. Ce scénario était en vigueur à l’époque du chah. Par ailleurs, Israël a toujours entretenu d’excellentes relations avec la Turquie, autre pays non-arabe du Moyen-Orient, et l’arrivée d’un gouvernement islamiste modéré n’a rien changé. Quant au pouvoir en place à Téhéran, il est aussi intransigeant dans sa politique intérieure que dans ses relations avec la communauté internationale. Dès le début, il s’est voulu le champion de la cause palestinienne. Ce n’est pas un hasard si les révolutionnaires rompirent immédiatement les relations diplomatiques avec Israël et si le premier «chef d’Etat» reçu à Téhéran après la révolution islamique fut Yasser Arafat. Les liens entre les islamistes iraniens et la mouvance palestinienne remontaient à loin.

Dès l’époque où il menait son combat contre le chah, Khomeiny désigna Israël comme un «ennemi de l’Islam», position qui pourrait s’expliquer par les excellentes relations entre le régime impérial et Israël, notamment dans la collaboration des services de sécurité. Mais l’attachement de l’Iran des mollahs à la libération de la Palestine ne reposait pas que sur des souvenirs. Le régime iranien ne pouvait ignorer la grande cause du monde musulman : la libération de la Ville sainte de Jérusalem (Al-Qods pour les musulmans). Cependant, le fait que la révolution soit l’œuvre d’un pays chiite allait lui interdire de servir durablement de modèle au monde sunnite. De plus, le conflit à venir entre l’Iran chiite et l’Irak sunnite allait hâter la désaffection du monde sunnite pour l’Iran qui, dès lors, se retrouvait isolé. L’engagement de Téhéran en faveur des Palestiniens a autant à voir avec la volonté de rompre cet isolement qu’avec l’idéologie de soutien aux «frères opprimés». Pour Téhéran, s’inscrire dans le front du refus (pas de négociations avec «l’occupant sioniste») et soutenir les organisations anti-israéliennes les plus extrémistes, palestiniennes (Hamas, Jihad islamique) ou libanaises (Hezbollah) revient à souligner que les rivaux sunnites (au premier rang desquels l’Arabie Saoudite et l’Egypte, le plus grand pays arabe ayant pactisé avec l’ennemi) ont trahi la cause. "Les autres parlent, nous agissons" pourrait être le leitmotiv de Téhéran.

Le régime a dès lors tout intérêt à continuer à agiter la question palestinienne chaque fois qu’il le peut car l’existence de cet ennemi lointain et relativement théorique (aucune frontière commune, donc aucun conflit territorial entre Israël et l’Iran) sert à justifier non seulement l’agressivité du régime mais également, jusqu’à un certain point, son existence aux yeux des «masses musulmanes» puisqu’il est le seul à faire face à «l’ennemi sioniste». La propagande iranienne ne rate donc jamais une occasion de s’en prendre, au moins verbalement, à Israël. Est-ce à dire que la rue iranienne suit le mouvement ? Tout indique que ce n’est pas le cas. Les Iraniens, dans leur grande majorité, ne font pas preuve d’une hostilité particulière envers Israël. En règle générale, les excès du régime en la matière suscitent davantage le sourire ou un haussement d’épaule de l’homme de la rue que sa sympathie. Les positions radicales de Téhéran semblent être en grande partie à usage externe. Enfin, en dépit des déclarations de certains dirigeants iraniens - en particulier du président Ahmadinejad - qui pourraient faire craindre le pire (on pense, entre autres, au sinistre concours de caricatures sur la Shoah que Téhéran organisa en 2007 pour répondre aux «caricatures de Mahomet»), il convient de souligner que l’Iran ne persécute pas sa communauté juive.

Celle-ci constitue la deuxième communauté en importance au Moyen-Orient, la première étant Israël. Elle fut l’une des plus anciennes du monde, fondée par des juifs restés après l’exil à Babylone. Elle compte aujourd’hui 25 000 membres considérés comme appartenant à une minorité religieuse officiellement reconnue et dispose à ce titre d’un siège réservé au Parlement. Certes, les déclarations antisémites existent dans la presse locale ou dans la bouche de certains dirigeants, mais l’antisémitisme d’Etat ne semble pas être à l’ordre du jour et les persécutions, comme la procédure judiciaire entamée en 1999 contre treize membres de la communauté pour espionnage, restent l’exception. En conclusion, l’Iran ne devrait pas constituer un danger pour Israël, excepté sans doute, en cas d’attaque préventive israélienne sur le sol iranien.

Frank Nouma, correspondant à Bruxelles du «Jerusalem Post»