Mali : évitons un nouvel Afghanistan

Nous avons devant nous une bonne cause : restaurer l'unité du Mali et casser un ramassis de trafiquants djihadistes qui mettent en coupe réglée le nord du pays. Ces bandits démolissent des mausolées, malmènent les populations locales, enlèvent nos compatriotes, menacent non seulement nos intérêts en Afrique, mais même la vie de notre "président normal". Et puis les temps ont changé.

Nous n'allons quand même pas nous salir les mains. Juste fournir à des troupes africaines, et cela à leur demande et sous le couvert d'une résolution des Nations unies, les moyens logistiques qui leur manquent. Quelle belle cause, qui sera vivement réglée, car il ne fait pas de doute que Gao et Tombouctou seront réoccupées en quarante-huit heures et que nous pourrons déclarer comme un chef bien connu : "Mission accomplie !"

Le malheur est que cette mission aura alors juste commencé et qu'il nous faut, la tête froide, examiner l'aventure dans laquelle nous allons nous engager. Tout d'abord par les fameuses troupes de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Les seules crédibles sont celles du Nigeria, qui seront loin de leurs bases et bien occupées par la rébellion de la secte islamiste Boko Haram ; celles du Sénégal, qui ont leurs problèmes en Casamance ; et celles du Tchad, dont le mépris des droits de l'homme est légendaire.

Si ces troupes se hasardent hors de leurs futures bases du nord du Mali, elles se feront étriller par des combattants mobiles, armés à profusion en Libye, bénéficiant de la profondeur d'un territoire qui va de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Sud algérien et libyen. Certains de ces combattants, comme Abdelmalek Droukdel, le chef d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), ou Abou Zeid, qui détient nos otages, sont des anciens du Front islamique du salut puis du Groupe islamique armé et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui combattent les troupes algériennes depuis 1993.

AVENTURE MILITAIRE

Ils contrôlent les trafics transsahariens, sont financés par le business des enlèvements, mais aussi par des réseaux du Golfe qui alimentent depuis dix ans les talibans afghans et que les services américains n'ont jamais pu démanteler. Si l'aviation et les forces spéciales françaises ne soutiennent pas les troupes de la Cédéao, celles-ci seront paralysées. Or, pas moins de quatre autres facteurs inquiétants doivent tempérer notre enthousiasme.

En premier lieu, l'attitude de l'Algérie, qui a évacué sur le Sahel le problème posé par ses irréductibles. Sans une participation active de l'Algérie, notre aventure militaire au Mali ne peut se terminer que sur un enlisement. En deuxième lieu, la situation politique malienne est désastreuse. La classe politique irresponsable et corrompue se déchire. L'armée est en ruine. Le principe d'une très large autonomie de l'Azawad refusé. A quelle autorité les troupes de la Cedeao remettront-elles les territoires reconquis ?

Troisième point, le terreau social, non seulement du nord du Mali, mais de tout le nord du Sahel est lui aussi désastreux. La population y double tous les vingt-deux ans, les sécheresses ont fragilisé le milieu naturel, l'administration est absente. Ce contexte rappelle l'Afghanistan... Enfin, l'absence d'investissements dans l'agriculture et l'élevage, secteurs délaissés par une aide française qui est aux abonnés absents dans ces régions depuis plusieurs décennies, font que le seul espoir d'ascension sociale pour les jeunes réside dans les trafics et dans un djihad qui a toutes les chances de se focaliser sur l'ex-puissance coloniale. Nous risquons donc fort, comme les Américains en Afghanistan, de nous tromper de guerre et de devoir passer, en quelques années, d'une petite opération antiterroriste bien localisée à une vraie guerre de contre-insurrection.

Alors que faire ? La situation est gravissime dans le nord du Sahel. Les conséquences géopolitiques sont dramatiques non seulement pour l'Afrique de l'Ouest qui est déstabilisée, mais aussi pour la France qui abrite une importante communauté malienne. Nous payons notre impéritie, notre refus de reconnaître cette longue dégradation des conditions dans ces régions. Nous payons l'incohérence de nos choix budgétaires en matière d'aide au développement.

Que faire ? En tout cas, tenter en priorité d'obtenir un soutien ferme de l'Algérie si nous nous engageons dans cette aventure militaire. Mais aussi prévoir ce véritable "plan Marshall" pour le développement du Sahel.

Serge Michailof, professeur à Sciences Po, auteur de "Notre maison brûle au sud" (Fayard, 2010)

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