Mali, quel passé pour quel futur ?

Le Mali, dont la plupart des gens ne connaissaient pas il y a peu l’emplacement exact en Afrique, fait depuis quelques mois, et surtout depuis quelques jours, la une de l’actualité. Dans ce maelström d’informations, tout se mélange : intervention française, prises d’otages, rebelles, terroristes, islamistes, Touaregs, coups d’Etat, dans un vocabulaire hasardeux et une profonde ignorance du passé. Il est urgent de ne pas tout confondre.

Quatre mouvements occupent le nord du Mali. Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique) tout d’abord, dont il faut rappeler qu’elle s’est installée au Mali depuis 2003, c’est-à-dire depuis dix ans, sans que rien ne soit tenté contre elle ! Au contraire, des millions d’euros ont été versés pour la libération des otages, et les Etats voisins rassemblés dans un état-major conjoint n’ont pas levé le petit doigt, sauf la Mauritanie. Ce mouvement n’était-il pas alors menaçant ? Avec la présence d’Aqmi, le Mali n’avait-il pas déjà perdu son autorité sur une partie du nord du pays, soit son intégrité territoriale ?

Le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) ensuite, dissident récent d’Aqmi, dont il faut rappeler qu’il est un des acteurs majeurs du trafic de cocaïne qui a corrompu les appareils d’Etat de nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, et tout particulièrement les dirigeants politiques maliens.

Ansar ed-Dine (les défenseurs de la foi), enfin, mû par la volonté d’appliquer la charia, n’a jamais enlevé un otage ni posé de bombes, et s’oppose à ces pratiques. Les deux premiers groupes détiennent des otages et ont commis des attentats. Ils sont les vrais terroristes. Ces trois mouvements ont en commun néanmoins de vouloir imposer par la violence un islam rigoriste et rétrograde. Il fallait effectivement les stopper et les empêcher de prendre l’ensemble du Mali en otage.

Le quatrième mouvement est le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad, Touaregs), créé dès 2010 mais ignoré par le pouvoir de Bamako. Ce sont ses membres qui ont engagé les hostilités le 17 janvier 2012 en attaquant Ménaka, et en achevant la conquête de tout le nord du pays le 1er avril par la prise de Tombouctou. Le MNLA se dit laïc, n’a aucune revendication religieuse, mais réclame l’indépendance du nord du Mali, ou à tout le moins une autonomie interne. Ce ne sont pas des terroristes, mais des rebelles à l’Etat. Les terroristes, eux, ne sont pas des rebelles.

Nous nous trouvons donc bien en face de deux problèmes différents. L’un concerne la propagation d’un islam violent, par la violence. Ce problème n’est pas spécifiquement malien, on le sait. Il n’est pas nouveau non plus, mais ce sont les populations (musulmanes) du nord du Mali qui aujourd’hui en souffrent particulièrement, avec l’application de la charia et son cortège de mains coupées et de destruction de mausolées. Il est le fait de fanatiques ultraminoritaires dans l’immensité du monde musulman. L’intervention française peut engendrer des représailles, mais n’avons-nous pas connu depuis des décennies des attentats et des prises d’otages ?

Le second problème n’est pas plus récent. Il est issu de la marginalisation du nord du Mali, qui s’est mise en place à l’époque coloniale, lorsque les Français ont largement plus investi et scolarisé dans le sud. Dès l’indépendance, la révolte touareg de 1963-1964 et la sévère répression de l’armée malienne, avec son lot d’exactions sur les civils, a marqué les esprits, engendrant une méfiance durable entre le nord et le sud du pays. Les Touaregs et les Maures se sont révoltés de nouveau en 1990-1996, pour exiger leur intégration à l’Etat et le développement de leur région, et encore dans les années 2000, notamment en 2006. Des accords ont été signés : ceux de Tamanrasset en 1990, le Pacte national de 1991, les accords d’Alger en 2006. Ils ont été en partie appliqués, mais insuffisamment. Le problème demeure. Si la France et les contingents africains veulent restaurer l’intégrité territoriale du Mali, ils peuvent peut-être y arriver par la force. Mais temporairement. Aucune stabilité ne sera possible si tous les acteurs de la crise, gens du sud et tous les gens du nord, qu’ils soient Touaregs, Songhay, Maures, Peuls ou Bozos, ne s’assoient pas définitivement autour d’une table de négociations, et ne trouvent une solution institutionnelle durable. Durable parce que garantie sur le long terme par la communauté internationale. Durable aussi parce qu’accompagnée d’investissements lourds pour le développement, condition indispensable pour que cette crise cinquantenaire soit enfin réglée autrement que par des guerres et des massacres.

Le problème supplémentaire est celui de la stabilité démocratique et institutionnelle du Mali. Le président Amadou Toumani Touré a voulu gouverner par le consensus, et a vidé la démocratie de sa substance. Il n’a rien tenté contre Aqmi, il a laissé la drogue gangrener son pays. Sa responsabilité est grande. Comme celle du capitaine Sanogo, le putschiste du 22 mars, qui l’a renversé un mois avant les élections prévues, et qui conserve une large part du pouvoir. La destitution du président intérimaire Diocounda Traoré était programmée, après celle totalement illégale du Premier ministre Cheikh Modibo Diarra par les militaires. De fait, il va être plus difficile avec la présence des forces françaises et de la Cédéao de faire des putschs en rond… Mais la responsabilité des élites et des politiques maliens est aussi engagée. Ce ne sont jamais des armées étrangères qui forcent la démocratie dans les esprits.

Le 15 janvier à Dubaï, François Hollande a énoncé trois buts pour l’intervention française : arrêter l’agression terroriste, stabiliser la démocratie, restaurer l’intégrité territoriale. Peut-être arrivera-t-on à purger le nord du Mali de ses salafistes, au risque d’une guerre longue, incertaine et asymétrique. Mais cela ne suffira pas si l’on veut que le Mali retrouve sa stabilité. Au sud du pays, le retour de la légalité constitutionnelle, le loyalisme de l’armée ne seront le fait que des Maliens eux-mêmes. Au nord, de véritables négociations sous l’égide de la communauté internationale sont indispensables. On ne pourra pas retourner à la situation de 2011.

Par Pierre Boilley, professeur d’histoire de l’Afrique contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre d’études des mondes africains.

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