Manchester, métropole bouillonnante et résiliente

Recueillement à St Ann's Square, à Manchester, le 25 mai 2017. Photo Oli Scarff. AFP
Recueillement à St Ann's Square, à Manchester, le 25 mai 2017. Photo Oli Scarff. AFP

Le Royaume-Uni est donc rattrapé par le terrorisme de l’EI. Malgré les menaces, ce pays semblait jusque-là épargné, contrairement à la France, la Belgique, la Suède ou l’Allemagne. Les attaques de Londres et de Manchester prolongent la vague terroriste qui frappe l’Europe. Les similitudes avec les attentats de Paris, Bruxelles, Berlin ou Nice sont nombreuses. Les cibles sont à chaque fois des lieux de convivialité, de culture populaire et de fête. Après le Stade de France, les terrasses de café, le Bataclan à Paris, le feu d’artifice du 14 Juillet à Nice ou le marché de Noël de Berlin, une salle de concert de Manchester, accueillant un public particulièrement jeune, est frappée. Le symbole, choisi ou non comme tel, est ici extrêmement fort.

En effet, Manchester est une ville où la vie nocturne est intense, avec une scène musicale particulièrement riche - c’est la ville de Joy Division, de The Stone Roses, de The Smiths, d’Oasis ou du mythique club The Haçienda - et dont le nom renvoie à ses deux clubs de football mondialement connus. Si Manchester a longtemps incarné l’image de la vieille ville industrielle en crise, le renouveau a été spectaculaire - au moins pour le centre - et la ville, capitale économique du nord de l’Angleterre, est aujourd’hui une métropole active, créative et très attractive.

S’inspirant des théoriciens du terrorisme jihadiste, la stratégie du chaos entreprise par les dirigeants de l’EI en multipliant les attentats en Europe cherche à déstabiliser des sociétés démocratiques, à approfondir les fractures et à créer un contexte de quasi-guerre civile. L’objectif de cette logique folle est que les populations visées par les attentats se retournent contre les minorités musulmanes. Là encore, Manchester apparaît comme une cible particulièrement symbolique. C’est une métropole cosmopolite où les minorités ethniques représentent le tiers de la population. D’ailleurs, selon une équipe de chercheurs de l’université de Manchester, plus de 200 langues différentes seraient parlées dans la ville, qui serait ainsi l’une des plus culturellement diverses d’Europe, voire du monde. Comme d’autres grandes villes britanniques, le Grand Manchester est également marqué par de fortes fractures sociales. La ville a même connu des épisodes de tensions sociales et communautaires particulièrement fortes, comme lors des émeutes à caractère ethnique d’Oldham en 2001 ou urbaines de 2011, qui ont aussi concerné Londres et d’autres villes du pays. Cependant, malgré ces fractures, la stratégie du chaos du terrorisme jihadiste s’écroule face à des sociétés européennes lucides - d’autant que des musulmans figurent régulièrement parmi les victimes de ces attentats - et finalement très solides, comme l’ont prouvé les réactions à la suite des différents attentats perpétrés en Europe.

Les similitudes entre les récents attentats à Londres et à Manchester et ceux perpétrés dans d’autres villes européennes montrent que l’analyse des causes du terrorisme et la recherche de réponses doivent être pensées à l’échelle européenne, voire globale. Pour autant, il ne faut pas négliger les possibles conséquences de ces attentats sur la situation géopolitique interne des Etats concernés, surtout que le Royaume-Uni est dans un contexte très particulier. En effet, les Britanniques votent le 8 juin pour des élections générales cruciales, car la majorité et le gouvernement sortants conduiront le très incertain processus vers le Brexit. Il est peu probable que ces attentats influencent le cours de ces élections, contrairement à ce qui s’était passé en Espagne après les attentats de Madrid de 2004. Alors que les sondages la donnent jusqu’ici grande gagnante des élections, Theresa May pourrait apparaître fragilisée après ces attentats de Londres et de Manchester, surtout qu’avant d’être Première ministre, elle a été ministre de l’Intérieur pendant six ans, menant les politiques de sécurité et de lutte contre le terrorisme au cours de ces dernières années. Cependant, elle a toujours défendu une ligne très ferme, à la fois contre la délinquance, contre l’immigration illégale ou contre les prêches islamistes. Elle a l’image d’une dirigeante intransigeante et déterminée. Ses opposants ne peuvent donc pas l’accuser de laxisme, d’autant plus que le Parti travailliste n’apparaît actuellement pas comme une alternative crédible sur les questions de sécurité. Certes, l’extrême droite et l’Ukip - au plus bas dans les sondages - tenteront de profiter de la situation, mais il est peu probable qu’ils réussissent à détourner beaucoup d’électeurs soucieux à la veille des négociations sur le Brexit.

L’Ukip avait d’ailleurs déjà cherché à instrumentaliser la peur du terrorisme, tout en faisant des amalgames avec la question migratoire, lors de la campagne du référendum sur le Brexit. Ce parti avait même publié une affiche incitant les électeurs à voter «leave» pour protéger le Royaume-Uni du terrorisme islamiste. L’absurdité de tels raccourcis se retrouve également dans le discours des partis d’extrême droite en Europe, quand ils dénoncent les accords de Schengen et l’ouverture des frontières internes comme étant responsables de favoriser les activités des terroristes. En effet, les attentats de Londres et de Manchester montrent qu’un pays qui ne fait pas partie de l’espace Schengen, dont les frontières sont extrêmement contrôlées - la situation à Calais le démontre - et qui en plus bénéficie d’une situation insulaire pour encore mieux contrôler les entrées et les sorties de son territoire, est victime d’attaques tout à fait similaires à celles qui ont frappé la France, l’Allemagne, la Belgique ou la Suède. La répétition de ces attentats aux modes opératoires très proches souligne plutôt la nécessité de renforcer la coopération et l’intégration internationale, au moins à l’échelle européenne, pour lutter contre le terrorisme.

Si renforcer les frontières ne semble pas suffire pour éviter les attentats, c’est parce que les terroristes et les instigateurs de ces attaques sont majoritairement des ressortissants de ces différents pays européens. Le terroriste de Westminster en mars 2017, celui de Manchester ou trois de ceux de Londres en 2005 sont nés et ont grandi au Royaume-Uni. Il s’agit sans doute là du principal défi pour les Etats européens : comment expliquer que des jeunes nés et ayant grandi sur leur territoire, dans des familles musulmanes ou non, parfois issus de classes moyennes, partent combattre pour l’EI et se retournent contre leur pays ? Comment lutter contre l’idéologie jihadiste ? Ces questions se posent au Royaume-Uni depuis 2005. Si à l’époque le multiculturalisme et un certain laisser-faire au nom de la liberté d’expression avaient été accusés d’avoir favorisé l’implantation et la diffusion de prêches islamistes très violentes - on parlait alors du Londonistan -, les temps ont radicalement changé au Royaume-Uni depuis, avec la mise en place de mesures extrêmement strictes notamment par la ministre de l’Intérieur Theresa May. Pour autant, les récents attentats montrent que le scénario peut se répéter et que les réponses restent à trouver.

La Manchester Arena ne se trouve qu’à 500 mètres du centre commercial d’Arndale, qui avait été en grande partie détruit par un attentat de l’IRA en 1996. Manchester avait alors cherché à dépasser très rapidement le choc : les destructions provoquées par cet attentat avaient été l’occasion de réaliser une remarquable opération de renouveau urbain, s’inspirant des opérations menées après-guerre dans les quartiers détruits par les bombardements allemands. Les Britanniques ont déjà montré toutes leurs capacités de résilience après de telles épreuves. Ils surmonteront encore ces tragiques événements, montrant au passage que, malgré les incertitudes du Brexit ou de la question écossaise, leur Royaume n’est pas si désuni que cela.

Mark Bailoni, Géographe et maître de conférences, membre du Loterr, université de Lorraine.

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