Maudite Europe

Explorateur de l’ère coloniale britannique. Gravure non datée. © 123rf ©
Explorateur de l’ère coloniale britannique. Gravure non datée. © 123rf ©

Il est de bon ton d’autocritiquer notre continent. En particulier ses aventures coloniales. Il faut lui attribuer tous les péchés du monde, au sujet de sa période expansionniste. Dernier épisode, le travail de sape mené par le livre illustré Sexe, race et colonies. Le quotidien Libération du lundi 1er octobre n’y a pas vu que du feu: «La mise en scène des images […] provoque un sentiment de malaise.» «Un ouvrage sans ambition scientifique»… Et Libé en rajoute ce 8 octobre: «Pourquoi une telle accumulation d’images dégradantes?» Un appel au voyeurisme, avec de très nombreuses «indigènes» dévêtues.

Les quatre grands pays colonisateurs d’Europe ont-ils été les plus cruels des enfants de la Terre? Leurs exactions appellent-elles expiations infinies? Bref, avons-nous été les salauds absolus? N’y a-t-il pas eu pire? Cette thèse est complètement erronée. Voir ci-dessous une partie de la réalité.

Commençons par la Chine. En matière de raffinement, la condamnation à être écorché vif nous donne une piste (supplice lingchi). Mais surtout, lisez la biographie de Mao Tsé-toung de Jung Chang et Jon Halliday. Cet ouvrage documente les largement plus de 30 millions de morts infligés à la population (le correspondant du Guardian à Pékin, Jasper Becker, écrit 30 à 50 millions de morts). Et évitons de parler du Tibet et du Xinjiang. En 1947, la séparation du Pakistan de l’Inde a fait près d’un million de morts et 15 millions de déplacés, qui ont tout perdu.

Les avantages des colonisateurs

Le communisme soviétique s’est rendu coupable de plus de 20 millions de victimes innocentes. Ce qui fut peut-être le pire, ce sont les 6 à 8 millions de morts de monstrueuses famines organisées par Staline, en particulier en Ukraine, entre 1931 et 1933. Leurs confrères en idéologie, les fameux Khmers rouges, sont responsables de tortures et exécutions sur pas loin de 3 millions de personnes entre 1975 et 1979.

L’horreur de l’esclavage est bien réelle. Celui à destination des pays arabes était-il moins important? Pas du tout! Même si, et c’est souvent là le problème, il n’a guère été décrit et encore moins illustré. L’ouvrage Le génocide voilé de Tidiane N’Diaye vous en dit plus, de manière très claire. Dix-sept millions de victimes tuées, castrées ou asservies pendant treize siècles. Et cela continue entre autres en Libye. L’Afrique précoloniale était-elle pleinement pacifique? Evidemment non. La traite se faisait en collaboration avec certaines tribus. Les enlèvements de femmes et les viols étaient monnaie courante. Il est vrai, la traite occidentale (déportation transatlantique) a fait 11 millions de victimes. Relevons la tentative de guerre d’indépendance du Biafra, en 1969, au Nigeria. Un à deux millions de morts. Les Hutus au Rwanda en 1994 ont exécuté probablement un million de femmes, enfants et hommes tutsis à la machette. Le Soudan, divisé en deux dès 2011, est décimé avec d’innombrables victimes. Les viols et massacres au Congo ont été, sont encore terribles.

La conquête de l’Amérique latine nous est aussi proposée comme horrible. N’oublions pas que Cortés a pris le Mexique en s’alliant aux Tlaxcaltèques contre les Aztèques. Dans ces régions, il n’y avait non seulement pas de paix éternelle, mais les sacrifices «indiens» de l’époque étaient terribles. Les méfaits des colonisateurs européens sont certains. On oublie toutefois les quelques avantages amenés par ces derniers! Les infrastructures, les ports, les chemins de fer, les routes, les bâtiments administratifs de l’époque ont, certes, été utiles aux colons, mais ils sont souvent les constructions de base qui servent encore aujourd’hui! Sans parler des écoles et surtout des hôpitaux qui, avec l’arrivée des vaccins et de la pénicilline, sont à l’origine de l’explosion démographique qui s’est ensuivie.

Faut-il nous autoflageller?

L’ouvrage évoqué au début parle d’une histoire de cinq cents ans. C’est inexact. Par exemple, la colonisation de l’Algérie n’a débuté timidement qu’en 1830. En Afrique, les Européens ont créé des ports fortifiés contre leurs concurrents. Mais ils n’ont véritablement pénétré l’intérieur des terres que tardivement (Stanley et Livingstone se sont rencontrés en 1871). L’Amérique et l’Afrique pillées? Oui. Guère plus que ne le font les Chinois aujourd’hui en déboisant à leur profit et en extrayant des minerais précieux avec des moyens techniques et financiers gigantesques, accompagnés de la possibilité de corrompre sans retenue, ce que ne peuvent plus faire les Occidentaux retenus par leurs lois. Et n’oublions pas que l’extraction du gaz et du pétrole s’est principalement développée avec les indépendances.

Condamner l’esclavage et les débordements de la colonisation, oui. Faut-il pour autant caricaturer, exagérer, focaliser, ne pas comparer? Faut-il nous autoflageller? Prolonger le fameux Sanglot de l’homme blanc et oublier les horreurs universelles? Enfin, devons-nous nous morfondre à l’idée que la plus grande partie du monde parle anglais, français, espagnol et portugais? Allons plutôt revoir le fameux film de Bertrand Tavernier Coup de torchon. Il dit beaucoup sur les colonies. Et l’exposition du quai Branly – Jacques Chirac, Peintures des lointains, jusqu’au 6 janvier 2019.

Pierre-Marcel Favre, éditeur.

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