«Mein Kampf», best-seller en Inde

Livraison garantie demain à 20 heures (à Bombay). Le livre : Mein Kampf. Best-seller en Inde. Présenté ainsi sur le site amazon.in : «L’un des livres les plus controversés mais aussi l’un des plus intrigants de tous les temps […] une très bonne base pour l’étude de l’histoire politique.» Commentaire posté le 20 avril : «Très important. Hitler le grand dictateur. Je reste sans voix après la lecture du livre.» Le 22 mars (pour une autre édition illustrée) : «Je suis un grand fan de Hitler. Biographie inspirante.» Le 19 mars : «Le meilleur livre que j’aie jamais lu.» Le 29 février : «Grand livre.» Et ainsi de suite, pour les nombreuses éditions présentées sur le site (le livre d’Adolf Hitler est vendu par treize éditeurs). Tous les commentaires ne sont pas au diapason, mais il y a de quoi s’interroger. En Inde, Mein Kampf est disponible partout, sur les étals de rue, dans les gares. En anglais et dans presque toutes les langues du sous-continent. Comment l’expliquer ? Ici, l’antisémitisme n’est pas un sujet. Comme le soulignait récemment le président de la communauté juive de Bombay, «nous n’avons jamais été persécutés par une caste ou une religion quelconque». On ne peut donc pas avoir recours à l’argument invoqué pour rendre compte du succès comparable de Mein Kampf dans les pays musulmans, de la Turquie à l’Indonésie, en passant par l’Egypte et le Bangladesh.

Pour la plupart des Occidentaux et des adversaires du président Modi, le succès de Mein Kampf est imputable aux dérives du nationalisme hindou. On l’a peut-être oublié, en 2005, l’actuel président indien, Narendra Modi, alors Premier ministre du Gujarat, s’était vu interdire l’accès au sol américain. Selon le représentant démocrate John Conyers, le département d’Etat avait «évalué le rôle de Modi et de son gouvernement dans la promotion d’idées de suprématie raciale, de haine raciale et de l’héritage du nazisme en finançant des manuels scolaires où le nazisme est glorifié». Narendra Modi appartient à la tendance dure de l’hindouisme, qui prône la supériorité des Indiens «aryens». Il avait largement couvert un massacre de musulmans dans le Gujarat en 2002. Et il avait comparé l’effet de la mort d’un musulman à celui d’un chiot qu’une voiture écrase par mégarde. Adolf Hitler «s’est trompé de cible. S’il avait débarrassé le monde des musulmans, le monde serait un bien meilleur endroit où vivre», écrit typiquement un lecteur en réaction à un article récent de l’Indian Express sur Mein Kampf. Lors d’un rassemblement récent du BJP (Bharatiya Janata Party, le Parti du peuple indien), la formation de Modi, des orateurs ont dénoncé les «démons musulmans», les avertissant que la «bataille finale» était proche. Le président du BJP, Amit Shah, vient d’annoncer que si sa formation remportait les élections en Assam (les résultats sont attendus en mai), la frontière avec le Bangladesh serait hermétiquement fermée, de manière que «pas même un oiseau ne puisse passer».

Mais l’Inde est un monde. En ce moment même, 160 millions d’électeurs, soit plus de trois fois le corps électoral français (mais seulement un cinquième du nombre total des citoyens indiens), sont appelés à renouveler le gouvernement de quatre de ses vingt-neuf Etats. Le BJP est loin d’être partout le parti le plus populaire. L’année dernière, il a perdu les élections à Delhi et au Bihar, un Etat de plus de 100 millions d’habitants. Shivam Vij, un journaliste indépendant vivant à New Delhi, peu suspect de tendresse à l’égard du BJP, ne croit pas que le succès de Mein Kampf doive être entièrement imputé aux dérives du nationalisme hindou.

Sur une suggestion d’un ami historien d’art, il invoque un tout autre phénomène : l’«iconophilie». Les Indiens adorent s’approprier les images de personnages célèbres, même quand ceux-ci n’ont rien à voir avec leurs convictions. Ainsi, un homme d’affaires en vue a appelé son fils «Che», comme Che Guevara. Le BJP s’est approprié l’image d’Ambedkar, alors que cette grande figure de l’histoire indienne, avocat des intouchables, avait répudié l’hindouisme et avait affirmé haut et fort que le système des castes ne pourrait jamais être éradiqué tant que cette religion dominerait. «La plupart des Indiens qui achètent Mein Kampf ne le lisent pas, écrit Shivam Vij. Le personnage de Hitler fascine le propriétaire du livre, et il l’expose dans son salon.» Mein Kampf, trop kitsch !

Olivier Postel-Vinay, Fondateur et directeur du magazine «Books»

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