Mettre la Corée du Nord sous pression n’est pas la solution

Réuni lundi 11 septembre, soit huit jours après le dernier test nucléaire de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC ou Corée du Nord), le Conseil de sécurité des Nations unies a voté, à l’unanimité, un huitième paquet de sanctions économiques à l’encontre de Pyongyang (résolution 2375). Comme pour les sept résolutions précédentes, les nouvelles mesures visent à limiter les revenus de la Corée du Nord et à empêcher le financement de ses programmes balistiques et nucléaires ; et comme pour les sept résolutions précédentes, il y a fort à parier que ces mesures n’auront pas l’effet escompté.

Le texte voté lundi constitue apparemment une version allégée de ce que désirait Washington, Pékin et Moscou, tous deux dotés du droit de veto au sein du Conseil et notoirement sceptiques sur la capacité de sanctions à faire évoluer les politiques nord-coréennes, ayant menacé de s’opposer à la résolution si elle s’avérait trop sévère. Chine et Russie ont, comme à chaque provocation nord-coréenne, condamné le test, mais le président russe Vladimir Poutine avait déjà expliqué, la semaine dernière, que de nouvelles sanctions seraient « inutiles et inefficaces ». La Chine, quant à elle, s’en est tenue à son rituel appel au calme et au dialogue pour régler le problème du nucléaire nord-coréen.

Le texte actuel prévoit notamment une limite sur les importations nord-coréennes de pétrole brut ou raffiné – que la RPDC importe en immense majorité de Chine et de Russie – ainsi qu’un plafond sur l’emploi de main-d’œuvre nord-coréenne à l’étranger. Les exportations de textile nord-coréen, qui constituaient la dernière source relativement importante de revenus non sanctionnée – en 2015, la RPDC était le premier exportateur de textile en Chine, devant Vietnam ou Italie –, sont de plus désormais complètement interdites. Ces mesures viennent s’ajouter aux sept résolutions précédentes, qui interdisent ou limitent déjà toutes les exportations nord-coréennes substantielles, dont le charbon, divers métaux et ressources minières, les fruits de mer ou l’armement.

Des sanctions contre-productives

On serait tenté de penser que cette nouvelle avalanche de sanctions et de pressions devrait forcer la Corée du Nord, en la mettant dos au mur, à revenir à la table des négociations et constituerait donc un pas vers la paix. Au vu des précédents cycles de provocations-sanctions, de plus en plus rapprochés dans le temps, il est pourtant fort probable que cette nouvelle résolution ait l’effet diamétralement inverse : vécues comme des ingérences et des tentatives d’étranglement économique, les sanctions concourent justement au discours nord-coréen qui vise à présenter la quête nucléaire comme un moyen de sanctuarisation du pays contre des forces extérieures hostiles.

Les nouvelles sanctions s’annoncent même particulièrement inefficaces puisque, comme en témoigne la brusque hausse du prix de l’essence en RPDC – justifiée par un cas de « force majeure » par les autorités –, depuis avril 2017, les Nord-Coréens semblent avoir pris les devants en se constituant des réserves de pétrole. De plus, les exportations de produits textiles manufacturés en Corée du Nord étant en très grande partie étiquetées « made in China », il semble très clair que cet embargo supplémentaire risque d’être particulièrement difficile à mettre en œuvre.

Selon certains analystes, ce manque d’efficacité annoncé des sanctions ne justifierait pas de développer des approches alternatives pour dénouer la crise nucléaire : les sanctions feraient passer un message à la Corée du Nord ainsi qu’à d’autres potentiels « proliférateurs » curieux de voir comment le duel Washington-Pyongyang va se résoudre. On rétorquera tout d’abord qu’il est étonnant de voir le Conseil de sécurité des Nations unies ainsi transformé en organe de communication politique mais peu préoccupé de questions de sécurité. En effet, non contentes d’êtres inefficaces, les sanctions économiques visant la RPDC sont contre-productives, et, en dernière instance, dangereuses.

Les motivations de Pyongyang dans sa déstabilisante quête nucléaire tiennent autant du dilemme de sécurité classique que de l’enjeu de souveraineté. Si Kim Jong-un tient absolument à devenir le chef d’Etat d’une « puissance nucléaire responsable », c’est avant tout par volonté de sanctuariser la RPDC contre les pressions extérieures, de toutes natures et de toutes origines – américaines comme chinoises, donc. En augmentant ces pressions, par les sanctions ou des déclarations guerrières par tweet interposé, on en vient paradoxalement à « justifier » le programme nucléaire nord-coréen, à rendre un immense service à la propagande interne nord-coréenne et à relancer un nouveau cycle de provocations-sanctions.

Une fenêtre d’action limitée

Kim Jong-un et ses conseillers disposent d’une fenêtre d’action limitée : dépositaire d’une légitimité politique transmise héréditairement par la « lignée du mont Paektu », il ne peut en aucun cas revenir ouvertement sur les choix politiques de ses prédécesseurs sans saper sa propre autorité. Une dénucléarisation de court terme est d’ailleurs d’autant plus hors de propos, du point de vue nord-coréen, qu’à l’heure actuelle aucun compromis sérieux et acceptable par Pyongyang n’a été évoqué par Washington.

On voit donc difficilement pourquoi Kim Jong-un en viendrait à se passer de ses programmes atomiques et balistiques, car si les mesures économiques s’accumulent, l’architecture des intérêts régionaux évolue peu : Pékin ou Moscou sont tout à fait conscients du fait qu’une RPDC sous pression est une RPDC instable et donc potentiellement dangereuse pour la région et pour elle-même. Ainsi, malgré l’unité relative affichée au Conseil de sécurité, il est plus que probable que cette énième résolution n’impactera que marginalement le déroulement des échanges à la frontière.

A bien des égards, la Corée du Nord a déjà gagné : l’économie nord-coréenne se développe, les ingénieurs militaires nord-coréens ont surpris les observateurs de par leur maîtrise des technologiques balistiques et nucléaires, et les options militaires sont plus que jamais toutes potentiellement cauchemardesques et incertaines. Kim Jong-un ne pouvant pas se permettre de baisser la nuque devant les « forces hostiles » américaines, il n’a plus qu’à attendre en augmentant la pression sécuritaire dans l’ensemble de la région, de voir des coins s’enfoncer dans les systèmes d’alliance régionaux et l’inquiétude augmenter d’un cran à chaque escalade verbale ou militaire.

Cette situation, belligène et dangereuse, poussera nécessairement, à terme, un décideur à comprendre que la solution la plus raisonnable pour diminuer les tensions est avant tout de garantir la pérennité de la RPDC dans ses structures politiques actuelles – garanties sécuritaires, économiques ou diplomatiques – avant d’évoquer, à terme, un désarmement dans des conditions plus propices.

Théo Clément est doctorant à l’université de Vienne et chercheur à l’Institut d’Asie orientale de l’ENS Lyon.

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