Migrants : la République et l’Europe au défi de l'histoire

L'«Aquarius» mouille dans le port de Valence, en Espagne, le 17 juin 2018. Photo Pau Barrena. AFP
L'«Aquarius» mouille dans le port de Valence, en Espagne, le 17 juin 2018. Photo Pau Barrena. AFP

M. le président de la République, en décembre, je me suis adressé à vous pour vous demander de suspendre toute mesure coercitive à l’égard des migrants et d’entreprendre les actions nécessaires pour les mettre à l’abri. Plus encore que d’honneur ou d’un discours humaniste, il s’agissait de vous sensibiliser à la situation de personnes dont le seul tort était de transiter sur le sol de notre République.

Depuis, la circulaire du 12 décembre autorisant l’intervention d’agents de l’Etat dans les hébergements d’urgence a conduit à une dégradation de leur situation. La loi portant sur l’asile et l’immigration se traduira par des mesures répressives au détriment des droits fondamentaux qui s’ajouteront au sort indigne réservé aux demandeurs d’asile. Cette loi conforte les néofascistes en Europe et les opposants à Mme Merkel.

L’emploi de ces termes n’est pas exagéré : mes expériences de médecin et de militaire, ainsi que celle d’élu d’une municipalité (Metz) confrontée aux problèmes de l’accueil des migrants, m’autorisent à les employer.

En effet à Metz, en 2017, 50 à 100 demandeurs d’asile arrivaient par semaine. La municipalité a dû installer un abri de fortune sur un parking pour que des femmes, des enfants et des hommes ne demeurent pas dans la rue, alors que les autorités, pourtant bien au fait de la situation, ne proposaient pas de réelles solutions pour que ces personnes puissent au moins accéder à l’eau.

Grâce à la mobilisation de citoyens révoltés par la misère à laquelle ces populations étaient abandonnées, une structure imparfaite, mais permettant de trouver des solutions urgentes, a pu être mise sur pied. Mais le nombre de migrants augmentant, la promiscuité, l’insuffisance des installations (quatre cuisinières à quatre feux pour 600 à 700 personnes) ont contribué à transformer ce camp en un bidonville d’Etat où la violence est fatalement apparue.

Sans les citoyens, les migrants seraient restés sur le béton et la terre battue, sans tente, sans nourriture, sans vaisselle, sans produits sanitaires, sans couchage, sans suivi médical, qui devrait pourtant être mis en place par l’Etat via l’Agence régionale de santé. Sur décision de la préfecture, à l’approche de la trêve hivernale, les migrants ont été entassés sur deux sites, gérés par Adoma [ex-Sonacotra, ndlr] et gardés par des vigiles qui empêchaient l’entrée des bénévoles et de moi-même, après la diffusion de vidéos dénonçant les conditions réservées aux personnes sur ces sites.

Un an après votre prise de fonctions, il me semble nécessaire de rappeler les grandes lignes possibles d’une politique européenne, qui est réduite aujourd’hui au seul rétablissement des frontières.

Cette politique devrait à mon sens être encadrée par trois principes : la participation citoyenne, la prise en charge du premier accueil par les grandes villes et les métropoles, l’insertion de la problématique au niveau européen.

• La participation citoyenne : le problème ne pouvant que s’aggraver du fait des aléas politiques, climatiques et démographiques, il est indispensable d’associer la nation dans toutes ses composantes au débat. Penser régler la question par la simple adoption d’une loi est une illusion, tant cette méthode ne fait que reproduire les clivages politiques traditionnels et renforcer les positions démagogiques.

• La prise en charge du premier accueil par les grandes villes et les métropoles : la survenance des problèmes sur leur territoire justifie pleinement que ce premier accueil soit assuré par ces collectivités suivant le principe de la délégation. Beaucoup d’entre elles y sont d’ores et déjà disposées. Définir un contenu à l’accueil par la détermination concrète des responsabilités est par ailleurs préférable à condamner des attitudes individuelles pour délit de solidarité.

• L’insertion de la problématique au niveau européen : la France n’est pas seule concernée. L’inscription de ce débat au niveau européen, au plus près des populations et non pas seulement des institutions, serait un bon exemple de la marche que vous entendez suivre pour relancer la construction de l’UE. Ceci pourrait se faire en utilisant le modèle des conventions que vous envisagez pour vivifier le débat démocratique ou en s’inspirant de mouvements comme «Pulse of Europe». La constitution d’un Haut-Commissariat européen aux réfugiés, installé au Luxembourg sur le plateau où siège la Cour de justice de l’Union européenne, constituerait le signe d’un tournant dans la méthode utilisée pour résoudre efficacement les défis posés au continent. La position actuelle de la France ne fait que renforcer les populistes et fragilise la situation politique de la chancelière allemande qui a pourtant sauvé l’honneur de l’Europe.

Ce chemin n’est pas le plus facile. Et il demande un très grand travail dont l’objectif est, en premier lieu, de définir un projet de refondation de l’Europe en association avec les populations.

La nomination récente d’un délégué interministériel en charge de l’accueil et de l’intégration est un trompe-l’œil, qui pourrait à terme relever de la supercherie tant que la ligne affichée se veut celle de la fermeté à l’endroit des demandeurs et de la dignité en la seule faveur des réfugiés. C’est désespérer les intéressés et ceux qui restent sensibles à leur sort que de faire croire que le traitement sera humain pour les uns et ferme pour les autres.

Pour ne pas avoir associé les citoyens à la politique généreuse et digne qu’elle décida seule, la chancelière allemande se retrouve aujourd’hui au cœur d’une crise dont nul ne sait encore l’issue pour l’Allemagne et la gestion des affaires européennes. Monsieur le Président, entendez les appels si nombreux des citoyens. Il se passe décidément quelque chose dans notre République. Celui ou celle qui le comprendra aura l’occasion unique d’associer la jeunesse à un grand dessein. Monsieur le Président, je vous souhaite cette rencontre avec l’histoire.

Raphaël Pitti, anesthésiste-réanimateur, médecin humanitaire et administrateur de l’UOSSM France. Il est l’auteur de Va où l’humanité te porte (Tallandier).

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