Migration: un pacte pour rien?

Migrants salvadoriens qui traversent un fleuve frontière vers le Mexique, en route vers les Etats-Unis. Novembre 2018. © AFP
Migrants salvadoriens qui traversent un fleuve frontière vers le Mexique, en route vers les Etats-Unis. Novembre 2018. © AFP

Non seulement la montagne a accouché d’une souris mais elle aura fait des dégâts avant même d’enfanter. Trois jours avant l’ouverture de la conférence de Marrakech, le 10 décembre, qui devait entériner le Pacte migratoire, le gouvernement belge tombait après qu’une partie du parlement eut déclaré qu’il voterait contre son adoption. Et il n’était pas le seul. Quelque 17 pays industrialisés dont l’Australie, l’Autriche, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, Israël, la Nouvelle-Zélande, le Chili, la République tchèque, la Croatie, ont exprimé de sérieuses réserves quant au contenu du Pacte.

Le paradoxe est que ces mêmes gouvernements n’avaient soulevé aucune objection lorsque le texte fut adopté à l’unanimité (sauf les Etats-Unis, qui s’étaient retirés du processus) par l’Assemblée générale de l’ONU en septembre à New York.

Retour à la réalité

Ce qui s’est passé entre ces deux dates est un retour à la réalité; en effet la nébuleuse onusienne à New York est souvent un mécanisme qui tourne à vide et les palabres entre diplomates se déroulent en circuit fermé. Ainsi, c’est seulement lorsque le texte du Pacte est arrivé dans les capitales que certains gouvernements et notamment ceux qui étaient soumis à une forte pression migratoire ont pris conscience que, dans le contexte actuel il était politiquement explosif, d’où une marche arrière de dernière minute.

Plus ou moins imposé par Kofi Annan à des gouvernements qui n’en voulaient pas, le Forum mondial sur les migrations avait démarré en marge de l’ONU en 2006. Dès son départ il dut faire face à un handicap insurmontable. Traditionnellement les Etats avaient estimé qu’il existait une nette division ente Asile et Migration avec comme résultat la création de deux organisations, à savoir le HCR pour les réfugiés qui fuyaient une persécution et l’OIM pour les migrants. Or avec le temps cette division s’avéra de plus en plus arbitraire. Ainsi, un Syrien qui avait trouvé asile en Turquie était à juste titre un réfugié. Cependant si ce même Syrien cherchait ensuite à entrer illégalement en Allemagne, il était évident qu’il ne se déplaçait pas pour fuir une persécution. D’où la naissance d’un nouveau phénomène aux dimensions mondiales: le réfugié qui émigre ou le migrant forcé.

Au pire moment

Malgré les efforts de Peter Sutherland, qui avait été nommé par Kofi Annan pour piloter le Pacte, de créer une synthèse entre Asile et Migration, il ne trouva pas d’échos auprès de gouvernements et se heurta à l’opposition systématique du HCR et de l’OIM, chaque organisation cherchant avant tout à préserver sa part du marché. Le résultat, ce furent deux ans de négociations pour aboutir à deux pactes parallèles. Un pacte sur l’Asile censé être entériné fin décembre, et un pavé de 40 pages et 23 objectifs dit Pacte sur les migrations qui fut entériné à Marrakech sans vote par 164 Etats dont la Corée du Nord, la Russie, la Chine, le Vietnam, l’Arabie saoudite et Cuba; et cela alors que des pays comme l’Australie ou l’Autriche aux longues traditions démocratiques choisirent de rester en dehors du processus. En effet pour ces pays-là ainsi que pour les autres hésitants, le pacte venait au pire des moments. Certes il n’était pas contraignant mais le simple fait qu’il prévoyait un mécanisme de suivi pouvait laisser croire que c’était un pied dans la porte vers un hypothétique «droit à l’immigration» susceptible d’enflammer les esprits dans les pays ou le thème de la migration est devenu un enjeu politique. Et la nomination par Antonio Guterres de Louise Arbour pour remplacer Sutherland n’arrangeait pas les choses. Ancienne procureur, militante des droits de l’homme, connue pour son dogmatisme et sans aucune expérience pratique de la gestion des migrations, sa présence n’était pas pour rassurer les hésitants qui craignaient d’être aspirés par un processus qu’ils ne contrôleraient plus.

Le résultat final c’est un pacte dont les principes ne prêtent pas à contestation mais qui a toutes les chances de rester lettre morte chez ceux qui l’ont adopté alors qu’il est déjà largement mis en pratique par ceux qui s’en sont dissociés. L’indispensable dialogue entre pays d’origine, pays de transit et pays de destination se fait attendre. L’Europe n’a toujours pas de politique de migration et la politisation croissante d’un mouvement migratoire incontrôlé que certains perçoivent, à tort ou à raison, comme une invasion ne fait que croître.

Alexandre Casella, ancien directeur au HCR. Ancien représentant à Genève du Centre international pour le développement des politiques de migration de Vienne.

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