Migrations: La trahison des élites africaines

Au Burundi, le maire de Bujumbura, Freddy Mbonimpa (en rouge), défile contre la Cour pénale internationale. © AFP/ STRINGER
Au Burundi, le maire de Bujumbura, Freddy Mbonimpa (en rouge), défile contre la Cour pénale internationale. © AFP/ STRINGER

Pourquoi des dizaines de milliers de jeunes africains quittent leur pays? Il n’y a pas d’effets sans causes. Tentons d’y voir un peu plus clair. Outre le réchauffement climatique qui nécessiterait des investissements massifs, l’intéressant rapport de la Fondation Mo Ibrahim, homme d’affaires multimilliardaire anglo-soudanais, montre assez bien l’état politique, économique et social du continent africain où les disparités sont énormes et donc difficiles à appréhender.

L’inadéquation de la formation des jeunes

Ce qui frappe cependant, c’est l’inadéquation de la formation des jeunes entre 15 et 25 ans qui pourtant représentent 35% de la population. Les gouvernements répondent mal aux besoins réels et ne tiennent pas compte de l’offre, d’où le chômage et les migrations. On peut expliquer cela en partie par les refus de nombreux chefs d’Etat d’accepter l’alternance démocratique, soutenus par leurs élites avides de pouvoir et d’argent, et, discrètement aussi, par les multinationales occidentales et asiatiques qui les soutiennent. Un scénario hélas connu dans de nombreux pays. On tire alors sur les jeunes appelés «terroristes» (Burundi, RDC, et autres) pour les besoins de la cause, sur les intellectuels, sur le petit peuple, tous révoltés par les incompétences, la corruption, la pauvreté, la faim.

Le vrai scandale et le rôle de la Chine

Mais le vrai scandale, c’est que ces dizaines de milliers de jeunes doivent émigrer pour tenter leur chance en Europe (11 000 dénombrés aux environs d’octobre), alors que des milliers de Chinois (ouvriers plus qualifiés et cadres) arrivent dans de nombreux pays africains où, par leur habileté, ils font concurrence au petit commerce africain, construisent rapidement des voies de chemins de fer ou des routes avec quelques ouvriers africains!

Ils corrompent souvent les ministres en place pour obtenir des concessions minières et des terres (RDC), de l’uranium (Namibie entre autres), du pétrole (Angola notamment), et ils consolident les ports pour pouvoir exporter plus vite ces richesses naturelles dont ils ont besoin pour leur propre développement, et pour leurs sous-marins (Djibouti et sans doute aussi Walvis Bay en Namibie). Sans parler de l’horrible hécatombe de milliers d’éléphants (le kilo d’ivoire se vend 7000 dollars en Chine et d’autres pays asiatiques), et des rhinocéros pour leur corne ayant soi-disant des propriétés aphrodisiaques. Ceci avec l’aide de braconniers africains. Un effrayant carnage en augmentation impressionnante depuis les débuts de la colonisation économique chinoise il y a plus d’une dizaine d’années et qui vise aussi, à plus long terme, à faire de l’Afrique leur usine de fabrication textile bon marché.

Le cynisme d’une partie des élites africaines

Il y a bien sûr des exceptions et des personnalités extraordinaires qui refusent cet état de fait: surtout les Eglises. Mais ces migrations prouvent la trahison de nombreuses élites africaines envers leurs jeunes, «avenir du pays», qui sont ainsi sacrifiés. Beaucoup préfèrent s’enrichir, ne pas dépenser trop d’argent pour les former, et les laissent partir pour garder le pouvoir sur leur pays, d’où les nombreux conflits, les Boko Haram, et autres banditismes. «Après tout, l’Europe coloniale peut bien s’occuper d’eux, n’est-ce pas? Elle nous doit bien cela!» On en est là. C’est le retour tardif du balancier de la colonisation, aggravé par la mondialisation économique qui enrichit une minorité et laisse au bord de la route la majorité comme partout ailleurs.

Et pour pouvoir agir en toute liberté, plusieurs pays menacent de quitter la Cour pénale internationale (CPI) comme cela avait été proposé ce printemps à la réunion de l’Union africaine. Le démantèlement du droit international est en marche, comme ailleurs aussi…

Christine von Garnier, Dr en sociologie politique et journaliste, blogueuse au «Temps».

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