Misère de l’altermondialisme

Les entêtements idéologiques ont la vie dure. Ils restent debout même après que leurs piliers se sont ébranlés. On l’a vu notamment avec l’idéologie communiste, avec le rêve de «rattraper et dépasser» le capitalisme par des moyens qui se seront avérés un fiasco époustouflant – planification économique, nationalisations et expropriations, contrôle des prix.

Il aura fallu des dizaines de millions de victimes du socialisme réel, et surtout le courage à toute épreuve des peuples d’Europe de l’Est, pour assister devant les écrans de télé, 72 ans après la prise du pouvoir par Lénine en Russie, à la chute du mur de Berlin.

Face à une telle débâcle, les pourfendeurs du capitalisme ont cherché à la va-vite un suppléant de fortune, quelque chose qui s’apparente à une idéologie de substitution capable de maintenir vivace la flamme de leurs espoirs.

Ce fut chose faite avec le mouvement autodénommé «altermondialiste».

Or, échaudés par la déroute du «socialisme réellement existant», et en mal d’inventivité, les apôtres de l’altermondialisme se gardent bien de présenter un nouveau projet de société en bonne et due forme. Sauf quelques mesures isolées (taxe Tobin, restrictions draconiennes des émissions de CO2, régulation plus stricte du secteur financier), leur «programme» se réduit à un catalogue de doléances et de principes, sans parvenir à proposer une alternative au capitalisme, concrète, cohérente et viable, pour l’ère postcommuniste.

Preuve de la misère programmatique du mouvement altermondialiste: un ouvrage publié en 2009, donc au milieu de la crise financière actuelle, par l’une des figures les plus représentatives du mouvement en question. Il s’agit du livre Krach parfait. Crise du siècle et refondation de l’avenir, d’Ignacio Ramonet, fondateur d’Attac (organisation phare de l’altermondialisme) et personnage incontournable de la très gauchisante revue Le Monde diplomatique.

L’absence de programme dans le réquisitoire de Ramonet a été relevée par le chroniqueur de son confrère Le Monde, à qui nul ne saurait coller l’étiquette d’«ultralibéral». Après avoir regretté l’utilisation par Ramonet d’«un vocabulaire empruntant davantage aux contes de fées qu’à la réflexion économique», le journaliste du Monde conclut par une constatation: «Les révolutionnaires semblent, eux aussi, trop fatigués pour proposer du nouveau.»

La capacité inventive des altermondialistes ne s’est pas améliorée depuis: les altermondialistes n’offrent toujours pas de programme concret.

Entre-temps, le capitalisme mondialisé suit son petit bonhomme de chemin, évolue, s’adapte aux nouvelles circonstances, procède par ce que Schumpeter a appelé «destruction créatrice» d’entreprises et donc de postes de travail, invente de nouveaux produits et services, change nos modes de vie.

Il y a, certes, crise financière actuellement. La plus grave depuis la Grande Dépression des années 30. Une crise qui, à y regarder de près, met notamment en question, non pas le fonctionnement du marché, mais l’interventionnisme d’Etat dans quatre de ses composantes typiques, à savoir: la politique de crédits artificiellement bon marché (les fameux «subprime») suivie par la Réserve fédérale depuis le temps d’Alan Greenspan; l’incontinence fiscale de l’Etat providence, génératrice de déficits publics insoutenables; les rigidités dans le marché du travail imposées par une législation trop contraignante; et les plans étatiques de sauvetage de banques ou de pays, lesquels plans ne font pas partie du canon du libéralisme économique.

Or, malgré la crise, le recul de la pauvreté, auquel la mondialisation de l’économie a contribué considérablement, ne s’est pas estompé pour autant. Selon des estimations publiées voici quelques jours par la Banque mondiale, l’extrême pauvreté a rétrogradé dans toutes les régions en développement durant la période 2005-2010.

Si à cela on ajoute que le taux de croissance annuelle de l’économie mondiale est resté positif au long de la crise (celle-ci n’atteignit pas le stade de dépression économique), que les Etats-Unis se sont mis à créer des emplois à nouveau, que le taux de chômage y côtoie les niveaux les plus bas depuis trois ans, et que Wall Street a récemment clôturé à son plus haut depuis le début de la crise, on peut aisément conclure que ce n’est toujours pas cette crise qui donnera gain de cause aux prédictions catastrophistes des altermondialistes.

Dans ses Thèses sur Feuerbach, Marx prétend que la tâche de la philosophie ne serait plus d’interpréter le monde mais de le transformer. Il doit se retourner dans sa tombe en voyant ses épigones devant se contenter, faute de modèle alternatif, d’investir les rues pour protester et s’indigner pendant que le capitalisme honni, lui, ne cesse de se transformer.

Par Fabio Rafael Fiallo, écrivain et économiste.

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