Moderniser la bureaucratie et repenser l’Etat en Amérique latine

Après une décennie dorée de croissance soutenue, les économies latino-américaines sont contraintes à une décélération parfois brutale. La chute vertigineuse des prix du pétrole frappe de plein fouet les pays producteurs, qui ont vu leurs revenus pétroliers fondre comme peau de chagrin depuis juin 2014.

Cette décélération dévoile des vulnérabilités structurelles des économies de la région et leur manque de compétitivité dans les secteurs à haute valeur ajoutée. Elle révèle également le manque de dynamisme des Etats dans la promotion d’une croissance équitable et durable, ankylosés qu’ils sont par des bureaucraties peu agiles et performantes. Au Brésil, le coût des lourdeurs administratives – le costo Brasil – est symptomatique d’un Etat à bout de souffle.

La décélération des économies rend donc encore plus urgente la modernisation de l’Etat afin d’améliorer la qualité des dépenses publiques et l’efficacité des services publics. Les pays d’Amérique latine ont réalisé d’importants progrès en matière de politiques macroéconomiques et de réduction de la pauvreté, avec une responsabilité fiscale accrue ancrée dans des lois de transparence fiscale. Ils ont renforcé leurs institutions économiques, notamment leurs banques centrales et leurs ministères des Finances. Cependant, ils sont confrontés à des problèmes de plus en plus complexes ainsi que des attentes croissantes du public pour des services de meilleure qualité, comme l’ont récemment montré les manifestations au Brésil et au Chili.

Ces dynamiques soulignent la nécessité de moderniser les bureaucraties pour rendre l’Etat plus agile et efficace. S’il est vrai que le poids du secteur public dans le produit intérieur brut est plus réduit que dans les pays de l’OCDE, sa performance est néanmoins décevante. Plusieurs rapports de la Banque interaméricaine de développement mettent en lumière trois défis à relever.

Un premier défi est celui de l’efficacité, c’est-à-dire la capacité de direction stratégique de l’Etat. Un gouvernement efficace se base sur une gestion publique moderne axée sur les résultats et basée sur des évaluations rigoureuses. Ceci requiert un noyau stratégique fort – qui se distingue du concept d’Etat fort et autocratique d’antan – afin de guider et coordonner l’action du gouvernement. Plusieurs pays, comme le Chili, ont renforcé leurs centres névralgiques. L’Equateur et le Honduras ont créé des «super-ministères de coordination interministérielle» responsables de l’harmonisation des politiques publiques. Par ailleurs, les politiques publiques doivent se baser sur une information de meilleure qualité et des évaluations d’impact plus rigoureuses. Les statistiques gouvernementales doivent devenir plus fiables pour guider davantage les choix et l’élaboration des politiques publiques. Or, les programmes gouvernementaux sont rarement évalués avec la rigueur nécessaire. Certains pays, comme le Mexique, ont investi dans leurs capacités statistiques, renforçant l’autonomie de son institut de statistiques.

Un second défi est celui de l’efficience, c’est-à-dire la capacité de gestion administrative de l’Etat. Une bureaucratie efficiente réduit les coûts des interactions avec l’Etat pour les citoyens et les entreprises. Les gouvernements efficients déploient des solutions numériques de gouvernement électronique, en optimisant l’application des nouvelles technologies de l’information. Une première priorité est la professionnalisation des fonctions publiques afin d’en renforcer la compétence, tout en s’assurant qu’elles soient fiscalement viables. Le Chili, l’Equateur, la République dominicaine et le Pérou ont réalisé d’importants progrès à cet égard, guidés par la Charte de la fonction publique de 2003. Les progrès sont cependant insuffisants et rendent encore plus urgente la modernisation de la fonction publique. Une seconde priorité est la rationalisation de la régulation et la simplification des procédures administratives pour les citoyens, les entreprises et les investisseurs. Certains pays, comme l’Uruguay, sont parvenus à exploiter les innovations technologiques pour améliorer la gestion de l’information et rationaliser les processus administratifs.

Le troisième défi est celui de la transparence, c’est-à-dire l’intégrité de l’action de l’Etat. La corruption – avec le crime et la délinquance – est l’une des principales préoccupations des Latino-Américains, comme le révèle le dernier classement de Transparency International. Ils ont cependant des raisons d’être optimistes. A l’heure où les innovations technologiques et les médias sociaux révolutionnent les relations entre l’Etat et les citoyens, de nombreux gouvernements s’engagent dans des initiatives pour rendre l’action publique plus transparente. Dans ce domaine, une première priorité consiste à améliorer la qualité de l’information et à la rendre plus accessible, afin non seulement de lutter contre la corruption, mais aussi d’améliorer l’action publique.

C’est particulièrement important dans des secteurs économiques critiques comme les industries extractives pétrolières et minières. La République de Trinité-et-Tobago a adhéré à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Par son initiative intitulée MapaRegalias, le gouvernement colombien publie désormais sur Internet ses revenus miniers et les investissements publics que ceux-ci financent.

Une deuxième priorité est de renforcer les institutions de contrôle et les systèmes d’intégrité. La modernisation des Cours des comptes, par exemple, est un mécanisme clé pour que les gouvernements rendent compte des résultats qu’ils accomplissent.

Par Carlos Santiso, qui dirige la division de modernisation de l’Etat de la Banque interaméricaine de développement à Washington DC.

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