Multilatéralisme à l’agonie: tous coupables?

Les vautours planent sur la Syrie, les charognards rôdent au Yémen et les requins festoient en Méditerranée. Nous devenons les témoins impuissants d’un ordre international en voie de déliquescence. Au premier rang des accusés, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Ces fossoyeurs de la paix nous mènent au précipice; sans une volonté minimale de consensus, il y a paralysie totale des mécanismes de sécurité collective. A New York, une nouvelle routine s’est installée: veto, boulot, dodo.

Certes, l’ordre international issu des ruines de la Deuxième Guerre mondiale n’a pas empêché des conflits sanglants, mais aujourd’hui le péril d’une conflagration devient majeur parce que plus diffus. Comment définir une guerre mondiale: par le nombre des Etats belligérants impliqués ou par l’étendue du conflit? Doit-elle forcément débuter en Europe? Dès lors, comment qualifier l’embrasement au Moyen-Orient? Quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité s’y trouvent militairement impliqués, ceux-là mêmes qui sont censés garantir la paix dans le monde, sans compter les puissances régionales aux allégeances aléatoires qui viennent participer à ce macabre festin, hors-d’œuvre de tragiques ripailles en perspective. Triste constat, le multilatéralisme agonise, mais pas qu’à New York.

Les équarrisseurs d’opérette

Certains se gaussent du crépuscule d’un ordre bâti sur les cendres des 60 millions de victimes du dernier conflit mondial. Ils en ont oublié les causes, ils en ont encore moins souffert les conséquences. Le fossoyeur en chef préside aux destinées des Etats-Unis, mais la Suisse compte également ses équarrisseurs d’opérette. Certes, vu la taille de notre pays, ils ne peuvent commettre trop de dégâts au niveau global ou régional, mais ils contribuent, à l’échelle helvétique, à distiller le poison d’un nationalisme antipatriotique, auquel il est devenu malvenu de s’opposer. Leurs initiatives à répétition, sous couvert des droits démocratiques et de souveraineté populaire, ne visent qu’à éroder les fondations mêmes de notre Etat fédéral.

La dernière en date est à l’air du temps: haro sur les «juges étrangers», ce qui revient à nier les principes fondateurs d’un droit supranational à l’élaboration duquel la Suisse a pris une part active et qui nous a apporté paix, croissance et stabilité depuis 1945! Comment concevoir une application des conventions internationales à géométrie variable selon l’humeur de chacun? Quel crédit donner au processus de ratification de notre parlement et à la possibilité de soumettre les traités internationaux à référendum?

Les garde-fous existent, mais en cas d’acceptation de l’initiative Blocher, comment prétendre d’autres Etats qu’ils respectent les traités internationaux, qu’ils se soumettent à une autorité désignée par les parties signataires? Le chacun pour soi signifie un retour à la loi du plus fort, comme on peut le constater depuis les initiatives intempestives prises au nom de «l’Amérique d’abord». Est-ce vraiment la vision de la Suisse? Incidemment, la Suisse conserverait-elle encore quelque autorité morale en tant que gardienne des Conventions de Genève?

Sirènes blochériennes

Dans son Histoire d’un Allemand, Souvenirs (1914-1933), Sebastian Haffner nous raconte comment un peuple cultivé a succombé aux chants des sirènes totalitaires. «L’âme collective et l’âme puérile réagissent de façon fort semblable. […] Pour devenir une force historique qui mette les masses en mouvement, une idée doit être simplifiée jusqu’à devenir accessible à l’entendement d’un enfant.» A méditer.

Le peuple suisse devra donc voter. J’ose espérer qu’il ne succombera pas aux chants des sirènes blochériennes. Si l’initiative passe, la Suisse contribuera à l’instabilité grandissante de notre planète au même titre que le Conseil de sécurité à New York et que Donald Trump!

Jean-Noël Wetterwald, ancien délégué HCR.

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