Ne discutons qu’avec l’Autorité palestinienne

Se sont produits en 2005-2006 deux événements opposés pour l’avenir des Palestiniens. En 2005, à la suite de la mort de Yasser Arafat, président-fondateur de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP), Mahmoud Abbas est devenu le chef de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Quoi qu’on pense de l’homme, de son caractère et de ses faiblesses, de son manque de leadership et de la corruption de son administration, il constituait un interlocuteur valable pour Israël, et le seul avec qui négocier l’unique solution possible : deux Etats, Israël et Palestine, vivant en paix l’un à côté de l’autre.

En 2006, le Hamas s’est emparé de la totalité du pouvoir dans la bande de Gaza, écrasant avec la plus grande brutalité les modérés et les partisans de l’Autorité palestinienne. On se rappelle les images des partisans du Fatah jetés du haut des immeubles à Gaza. Il ne sert à rien d’user et d’abuser de grands mots pour qualifier le Hamas comme le font des Israéliens : « organisation terroriste », « islamiste radical », « mouvement fanatique » ou même de comparer ses pratiques avec celles de l’Etat islamique.

La vérité est que ce mouvement n’a jamais changé d’un iota sa position originelle qui se résume ainsi : Yasser Arafat a eu tort de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël dans les accords d’Oslo de 1993, la seule voie ouverte au peuple palestinien est la lutte armée contre « l’entité sioniste » pour la faire disparaître, aucun compromis n’est possible avec les Israéliens, toute attaque militaire contre Israël ou l’assassinat de civils israéliens est bénéfique.

Je trouve assez ridicules et pas très sincères certains de mes collègues européens qui pensent avoir décelé, au détour d’une petite phrase de Khaled Mechaal, chef du Hamas, l’ombre d’un changement, l’amorce d’une évolution, le début d’un petit tournant, qui sait peut-être peut-on « faire affaire » avec le Hamas ? Et quelle serait donc cette affaire ? Il n’y a eu aucun changement dans les positions affirmées par le Hamas depuis sa création, et il n’y en aura pas, parce que ses thèses et ses objectifs sont sa raison d’être, face à la voie de la négociation avec Israël choisie par Mahmoud Abbas. Comment et pourquoi le Hamas pourrait-il accepter un seul instant de ne plus construire de tunnels sous sa frontière avec Israël en vue de kidnapper ou tuer des Israéliens ? Comment pourrait-il considérer la destruction totale de son stock énorme de roquettes et de missiles dirigés vers les villes israéliennes et pourquoi donc le ferait-il ?

Pourquoi le Hamas discuterait-il avec les Israéliens, directement ou non, de la possibilité d’une « démilitarisation de la bande de Gaza », ce qui signifierait sa fin ? Le maximum que le Hamas pourrait accepter, étant donné son affaiblissement lié aux frappes israéliennes, à son éviction de Syrie, à sa rupture avec l’Iran et à l’arrivée du pouvoir militaire en Egypte, est une trêve, plus ou moins longue, avant de reprendre les mêmes hostilités, le jour où il se sera renforcé.

POURQUOI LE HAMAS DISCUTERAIT-IL AVEC LES ISRAÉLIENS ?

Je suis de ceux qui pensent que la négociation avec le Hamas ne sert à rien. C’est même mépriser le Hamas que d’attendre qu’il change sa raison d’être. Et qu’est-ce qu’Israël, y compris la gauche si elle était au pouvoir, pourrait proposer au Hamas lors d’une négociation ? La levée totale de l’embargo sur les marchandises destinées à Gaza alors que cela comprend des pelleteuses destinées au creusement des tunnels, des tubes d’acier permettant de fabriquer des roquettes, ou des produits chimiques en principe destinés au bâtiment mais qui serviraient à fabriquer des explosifs ? De quelle négociation parle-t-on ? Alors que faire ?

L’erreur inexcusable de tous les gouvernements israéliens depuis 2006 a été de ne pas avoir tout fait pour renforcer l’Autorité palestinienne. Bien au contraire, ces gouvernements l’ont traitée comme le Hamas et n’ont cherché qu’à l’humilier, à la rabaisser. Il est vrai que renforcer l’Autorité palestinienne commençait par l’arrêt ou le gel de la construction d’implantations juives en Cisjordanie et dans les quartiers arabes de Jérusalem, implantations qui n’ont pas d’objectifs sécuritaires mais des motifs politiques et idéologiques. Mahmoud Abbas a raison d’exiger ce gel, il ne peut rien faire vis-à-vis de son peuple sans cet arrêt fondamental et c’est la première condition posée pour qu’il retrouve son rôle de seul interlocuteur d’Israël. Ce n’est pas l’actuelle coalition en Israël qui fera un tel acte courageux, elle en est très loin, mais c’est ce que l’opposition de gauche sioniste réclame depuis longtemps.

Mais ce n’est pas tout. Israël aurait dû libérer tous les prisonniers palestiniens liés au Fatah et à l’Autorité palestinienne, y compris Marouane Barghouti [membre du Fatah condamné pour meurtres].

Sur le plan économique, Israël, qui a une économie forte, aurait pu donner les moyens à l’Autorité palestinienne et à la Cisjordanie de « démarrer » et de s’épanouir, d’améliorer le niveau de vie de ses habitants, au lieu de punir Mahmoud Abbas en lui suspendant le transfert des sommes et impôts auxquels il a droit.

Israël aurait pu, pour asseoir l’autorité de M. Abbas, rectifier le tracé du mur de sécurité pour qu’il n’empiète pas sur les terres palestiniennes ou diminuer les contraintes aux barrages routiers.

Enfin, pourquoi Israël s’est-il opposé à la reconnaissance de l’indépendance palestinienne à l’ONU, combat d’arrière-garde où Israël était plus seul que jamais, un combat qui n’a fait qu’affaiblir et humilier Mahmoud Abbas et donner des arguments au Hamas.

Bref, si ce n’est à court terme, au moins à moyen terme, l’Autorité palestinienne doit absolument reprendre pied à Gaza. Il n’y a pas de solution à trois Etats. Tôt ou tard, l’Autorité palestinienne doit redevenir le seul pouvoir palestinien en Cisjordanie et à Gaza, et ce sont les Palestiniens eux-mêmes qui doivent comprendre que tel est leur intérêt.

Ilan Greilsammer, Professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’université Bar-Ilan (Israël)

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