Ne trahissons pas nos idéaux démocratiques

Benjamin Franklin écrivait en 1755 que «ceux qui renoncent à une liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire ne méritent ni liberté ni sécurité». Malgré l’ambiance d’insécurité actuelle et le traumatisme provoqué par les récents actes de violences, le devoir de justice ne doit pas imposer la généralisation des lois et des procédures d’exception. Les démocraties n’y gagnent pas en efficacité répressive, bien au contraire. Défendre la liberté contre ses ennemis ne doit pas conduire à un affaiblissement des droits humains et des libertés fondamentales.

Or, depuis 1986, la France connaît un élargissement continu de la catégorie des infractions dites «à caractère terroriste», à l’occasion de dispositifs législatifs de plus en plus dérogatoires au droit commun. Le mécanisme est bien connu : l’invocation d’une menace terroriste, à l’appui d’une nouvelle législation, souvent adoptée dans l’urgence, pour combler les prétendues carences de l’arsenal juridique existant.

Au nom de la lutte contre la radicalisation violente et la propagande terroriste favorisant le départ de Français pour le jihad, un nouveau coup a été porté récemment à nos libertés fondamentales. Ainsi, la loi du 13 novembre 2014 ne déroge pas à cette règle pour trois raisons principales.

Premièrement, les infractions de «provocation directe à des actes de terrorisme» ou de «faire publiquement l’apologie des actes de terrorisme» sortent de la loi sur la presse de 1881 pour être introduites dans le code pénal (nouvel article 421-2-5). Ces infractions, qui étaient soumises à un régime dérogatoire protecteur des libertés prévu par la loi précitée de 1881, sont par conséquent désormais soumises aux règles de poursuite de droit commun.

Deuxièmement, l’administration (et non le juge) peut interdire désormais à un ressortissant français de quitter le territoire national «lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette» des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des actions terroristes ou les déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. Alors que l’application de cette mesure est attentatoire à la présomption d’innocence et à la liberté fondamentale d’aller et venir, les recours ne pourront être exercés qu’a posteriori et avec des garanties très insuffisantes.

Enfin, cette loi introduit dans le code pénal le nouveau concept «d’entreprise terroriste individuelle», une infraction définie de manière vague qui pourrait amener des citoyens à être accusés de crimes pour des comportements qui ne sont pas clairement décrits dans la loi comme illégaux. Nous savons également que l’infraction préexistante, elle aussi définie de manière large, «d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» a conduit à des inculpations et à des condamnations sur la base d’éléments de preuve faibles et indirects, aux termes de procédures dénoncées par les plus grandes organisations non gouvernementales internationales de défense des droits de l’homme.

L’arsenal juridique existant, déjà lourd, risque bien d’être renforcé dans les mois à venir. En effet, sans même attendre la fin de l’enquête pour les crimes commis à l’occasion de l’attaque contre Charlie Hebdo, le gouvernement souhaite encore renforcer l’arsenal antiterroriste en notifiant à Bruxelles le décret d’application permettant le blocage des sites «terroristes». Manuel Valls annonce, en outre, de nouvelles mesures pour répondre à la menace terroriste et notamment une loi sur le renseignement pour le premier trimestre 2015 dans laquelle il souhaite, a-t-il dit vendredi, y ajouter de nouvelles mesures pour mieux répondre à la menace terroriste.

Nous ne pouvons que dénoncer cette surenchère répressive. On ne peut légiférer dans l’urgence sauf à commettre des erreurs (en allant trop loin), au préjudice des libertés fondamentales. De Mohamed Merah à Mehdi Nemmouche, aux frères Kouachi et Amedy Coulibaly, le droit ne peut être élaboré sous la pression médiatique et celle de l’opinion publique. En cette période de choc et de deuil, le gouvernement et le président de la République ont aussi la responsabilité de faire respecter la liberté d’expression et les autres droits humains. Répondre à la terreur par la restriction des libertés et de l’Etat de droit, ce serait trahir nos idéaux démocratiques mais aussi la mémoire de celles et de ceux qui viennent de tomber pour leur défense.

Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris et Olivier Hassid, chargé de cours à l'Université Paris Ouest-Nanterre.

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