Ne vous méfiez pas (toujours) des inconnus

Combien de silhouettes voit-on défiler chaque jour, rien que sur le chemin du bureau? © 123RF
Combien de silhouettes voit-on défiler chaque jour, rien que sur le chemin du bureau? © 123RF

Le quotidien, c’est comme un vieil appartement. On évolue si souvent dans le même environnement, le même décor familier qu’on finit par ne plus les regarder. Le drôle de coude que forme la rue où l’on prend son bus; la devanture colorée du café à côté; et surtout, le flot d’inconnus croisés au milieu.

Combien de silhouettes voit-on défiler chaque jour, rien que sur le chemin du bureau? Cinquante? Cent? Plus encore? Difficile de les compter puisque, en général, on ne les remarque même pas. Parfois, on se demande où ils se rendent, pourquoi cet air rêveur ou chiffonné. Et d’autres fois, plus rares, on échange de brefs moments de grâce.

Les vacances sont particulièrement propices à ces rencontres furtives. Sans doute parce qu’on a le temps, l’âme aventurière ou que les circonstances nous clouent pendant huit heures sur la même banquette. Alors que je suis tout juste rentrée de voyage, en train de nuit qui plus est – génération écolos à tresses oblige –, ces visages sont encore frais dans mon esprit, photos-souvenirs d’un album invisible.

Le regard de cette Croate racontant, dans un wagon brinquebalant, son exil à Zurich dans les années 1990 pour fuir la guerre, à tout juste 23 ans. Ou cette quinqua américaine, dont la fille mannequin s’affiche sur les plus grands billboards de New York, qui m’a demandé si moi, je trouvais du sens à mon travail.

Tongs en goudron

Plus tard, sur une petite île slovène, la rencontre avec un local rigolard qui venait de lancer sa marque de tongs en goudron souple et gravier, pour un massage des pieds à chaque pas – testé, approuvé. Ou encore cet adolescent italien impatient de partager, dans une crique de l’Adriatique et un anglais approximatif, sa passion pour l’étude des forêts.

Pas besoin d’un grand déballage ou d’un coup de foudre à la Before Sunrise. Quelques mots suffisent à nous sortir de notre réserve, à ouvrir le robinet. Et il n’y a rien de plus grisant que de se laisser surprendre, sentir qu’une connexion s’esquisse… Puis cette triste constatation: on ne se reverra certainement jamais. Alors pourquoi se donner cette peine?

Savourer le passager

Les Japonais ont une expression toute trouvée. «Chi-go ichi-e», «une seule fois dans la vie»: il faudrait chérir chaque rencontre, unique par définition. Cette philosophie, qui décrivait originellement la cérémonie du thé, pourrait aussi s’appliquer à nos rendez-vous sur la route. Savourer le passager. D’autant que c’est justement parce qu’elles sont sans lendemain, et donc libres de tout dessein, qu’elles sonnent aussi vrai.

Méfie-toi des étrangers, nous a-t-on répété. Alors que, si on leur en laisse la possibilité, ils nous offrent volontiers un instant de spontanéité et, si si, d’intimité.

Virginie Nussbaum

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