Négation du génocide arménien: liberté pour des opinions choquantes

Des Turcs favorables à la cause de Dogu Perinçek manifestant devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
Des Turcs favorables à la cause de Dogu Perinçek manifestant devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

La décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui donne gain de cause à un négateur du génocide arménien en Suisse suscitera un concert de critiques. Elle risque en effet de doucher les espoirs des défenseurs de la cause arménienne. Les lois pénales, demandent-ils, doivent sanctionner ceux qui s’acharnent à contester la réalité du génocide font furent victimes les Arméniens en 1915 - une qualification que récuse Ankara. Si douloureuse que soit cette question aujourd’hui, et si complexes que soient ses implications politiques, en Turquie et ailleurs, il faut pourtant saluer ce verdict. Car il se situe dans une ligne suivie avec constance depuis des décennies par les juges de Strasbourg, tendant à enfermer les restrictions à la liberté d’expression dans de très étroites limites.

On comprendra mieux cette décision si l’on se souvient de la formule que Strasbourg a forgée pour dire la valeur de la liberté d’expression. Cette dernière vaut non seulement pour les idées inoffensives, «mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent» la société. «Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique.»

C’est à cette aune que Strasbourg juge les restrictions à la liberté d’expression. Il était immanquable qu’un jour, les juges s’interrogent sur la compatibilité avec ce principe des lois qui répriment la négation d’un crime contre l’humanité. La seule contestation d’un fait historique avéré ne saurait suffire pour condamner son auteur. Il faut que s’y superpose une discours de haine et de violence intolérables, dit le jugement qui vient d’être rendu.

Toute la question reste bien sûr de savoir où placer le curseur. On peut, et même l’on doit s’interroger sur le bienfondé d’une jurisprudence qui risque d’ouvrir un débat glissant où les mémoires n’auront jamais le même poids. C’est pourquoi l’ancien président de Médecins sans frontières Rony Brauman a raison de dénoncer, dans nos colonnes, la concurrence qu’ont ouverte les lois réprimant la négation de la Shoah. Ce fervent défenseur des droits de l’homme en tire un argument de plus pour récuser l’ensemble de ces dispositions, dont il dénonce le piège. En son temps, l’historien français Pierre Vidal-Naquet, enfant de déportés, avouait lui aussi son hostilité face à la chasse aux révisionnistes, préférant que le débat ne quitte pas le terrain des idées. Une attitude qui a le mérite d’être cohérente en plus d’être courageuse.

Denis Masmejan, journaliste.

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