Négociations climatiques : Copenhague ou l'heure de vérité

Le sommet de Copenhague, en décembre prochain, jouera un rôle crucial pour l'avenir de la lutte contre le changement climatique. Un plan d'action insuffisamment ambitieux et trop coûteux pour les générations actuelles, voilà, pour faire court, ce à quoi l'on risque d'aboutir. Afin que la réponse des institutions soit à la hauteur du défi posé par les prévisions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), un regard neuf est nécessaire.

Un effort nettement insuffisant...

Le protocole de Kyoto a constitué une étape symbolique importante, mais il n'a pas permis d'aboutir à un effort significatif de réduction des gaz à effet de serre. En l'absence d'un nouvel état d'esprit, le protocole de Copenhague, censé définir l'après-Kyoto, nous amènera à continuer à faire du surplace jusqu'à 2020.

Malgré des avancées notables dues à l'élection d'Obama, les objectifs proposés par les Américains pour 2020 (des émissions de gaz à effet de serre inférieures de 7 % à celles de 1990) restent modestes et ne constituent pas même des obligations. Le Groupe des 77 aux Nations unies, qui inclut la Chine, l'Inde et d'autres pays émergents, n'acceptera pas davantage de contraintes. Même les ambitions européennes, qui semblent volontaristes, risquent d'apparaître comme trop faibles.

A titre indicatif, le rapport Quinet, dont la philosophie avait été reprise par le rapport Rocard sur la taxe carbone, avait estimé qu'il fallait faire payer 45 euros la tonne de CO2 émise à tous les pollueurs du monde (100 euros en 2030) si l'on voulait être en conformité avec les recommandations du GIEC (il avait alors proposé 32 euros la tonne pour refléter l'absence de mesure similaire à l'étranger). Or, le prix sur le marché européen des droits d'émission s'établit à 15 euros, celui qui émergera aux Etats-Unis sera plus faible, et sera nul dans de nombreux pays. Seul un accord global permettra de sortir de cette logique des intérêts nationaux.

Le cadre de réflexion classique dans lequel le sommet de Copenhague s'inscrit ne permettra pas d'aboutir à des résultats satisfaisants en termes de réduction des émissions polluantes car les différents pays vont continuer à penser d'abord à ce qu'ils considèrent comme leur propre intérêt en tentant de profiter des efforts des autres. Chacun d'eux supporte pleinement le coût de ses propres tentatives pour polluer moins, et ne recueille qu'une faible fraction du résultat de ses efforts. Ce raisonnement est renforcé par l'idée que la bonne volonté peut s'avérer inutile du fait de ce que les experts appellent les "fuites de carbone" : une taxe qui réduit la consommation de pétrole sur un territoire provoque une diminution de son prix mondial et encourage ainsi un accroissement de la consommation des nations qui n'ont pas institué un tel impôt ! Dans le même ordre d'idée, une taxation suffisamment forte pour lutter contre le changement climatique dans un pays donné conduira les entreprises à délocaliser leur production dans d'autres régions du monde, où elles pourront polluer à bon marché. Enfin, les gouvernements vont se rendre compte que continuer aujourd'hui à utiliser des combustibles fossiles de manière intensive les placera dans une position de force lors des négociations prévues en 2020 pour monnayer leur bonne volonté à devenir vertueux.

Le protocole de Kyoto, malgré toutes ses bonnes intentions, n'a, pour toutes ces raisons, pas réussi à enclencher un véritable effort collectif ; en sera-t-il différemment des promesses non contraignantes faites à Copenhague ?

Bien sûr, il y aura certains progrès. Des marchés de droits à polluer existent déjà ou seront créés en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Les pays émergents prennent déjà certaines mesures. Les graves conséquences des émissions polluantes sur l'environnement local (les centrales à charbon, par exemple, émettent, outre du CO2, des polluants comme le SO2, aux effets plus localisés) et le désir d'apaiser l'opinion publique, et par ailleurs d'éviter les pressions internationales, aboutiront à un certain contrôle de ces émissions. Mais il restera globalement insuffisant. La répugnance de la plupart des pays à signer des accords contraignants est un signe qui ne trompe pas. Or, les nations ayant vraiment l'intention de faire de gros efforts contre le réchauffement climatique auraient tout à gagner à ce que de tels accords soient conclus.

... et trop coûteux

Les mesures prises à Copenhague risquent aussi d'être trop coûteuses au regard de leur faible efficacité à limiter le réchauffement climatique. Nous avons été habitués à nous contenter de mesures-rustines, dans le cadre des accords de Kyoto et sous la pression des lobbies industriels.

Les négociations sectorielles ont leurs partisans. Mais elles compliquent les choses en tendant à multiplier les pourparlers, en favorisant la mobilisation des groupes d'intérêt plus ou moins puissants et en aboutissant finalement à des différences de traitement injustifiées entre secteurs d'activité.

De même, la mise en place de normes environnementales augmente souvent le coût de la réduction des émissions polluantes. Les Etats dépensent parfois jusqu'à 1 000 euros pour éviter d'émettre une tonne de CO2 (par exemple en installant du photovoltaïque), alors que d'autres méthodes permettraient d'arriver au même résultat pour 20 euros seulement !

Le mécanisme pour un développement propre (MDP) instauré à Kyoto a, pour sa part, de nombreux adeptes, qui proposent d'en faire un instrument majeur de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce mécanisme consiste à attribuer des crédits aux entreprises appartenant à des pays où les émissions de carbone sont coûteuses (par exemple, les pays européens), lorsqu'elles réalisent des projets de réduction des émissions polluantes dans des pays, comme la Chine, non soumis à ces contraintes. Critiqué à juste titre par les écologistes pour l'incertitude qu'il fait planer sur l'importance des efforts entrepris dans les pays développés (qui peuvent se défausser en faisant appel aux crédits ainsi obtenus), ce mécanisme, par ailleurs complexe sur le plan administratif, incite en réalité les pays émergents concernés à ne pas adopter de législation environnementale et à refuser de signer des accords internationaux contraignants, qui dévaloriseraient leurs projets spécifiques. Qui plus est, le MDP peut coûter cher et avoir un impact environnemental limité au final : par exemple, un projet de reforestation quelque part dans le monde peut aboutir à une déforestation ailleurs, en raison de la demande persistante du produit qui provoque la déforestation (bois, soja, etc.). Une réalité trop souvent ignorée de l'opinion publique.

Avoir le courage d'aborder le problème de la compensation

La faiblesse des résultats obtenus depuis Kyoto est frappante. Les négociations ont échoué en particulier à régler la question des compensations à offrir aux pays pauvres pour leur participation à l'effort collectif.

Les nations émergentes regroupées au sein du G77 demandent que les pays développés leur transfèrent un montant allant jusqu'à 1 % de leur PNB et s'engagent unilatéralement à des réductions plus importantes de leurs émissions polluantes. Leur suggestion a le mérite de mettre la question sur la table, mais elle défend mal leur intérêt. Dans le passé, les pays riches n'ont pas respecté leurs promesses d'aide au développement et de lutte contre le sida. Tout projet d'accroissement des transferts vers les pays pauvres se heurtera aux réticences des opinions publiques. N'oublions pas que, illustrant notre réticence à contribuer au bien public mondial, 65 % des Français sont opposés à une taxe carbone pourtant modeste ; on ne peut qu'imaginer la réaction du sénateur de l'Alabama quand les Etats-Unis auront à effectuer un transfert fiscal énorme vers la Chine... Un tel projet sera aussi inévitablement compromis par les politiques d'austérité financière qui ne tarderont pas à se mettre en place dans les pays riches.

Les leçons de l'histoire et de l'économie

Les économistes recommandent, pour leur part, et de manière quasi unanime, que le prix à payer pour les émissions de carbone soit unique pour l'ensemble des pays, des secteurs économiques et pour tous les acteurs. Pour eux, la question de la répartition des charges (entre les nations dans le cas du réchauffement climatique) peut être traitée par une allocation de droits à polluer. Simple ? Peut-être. Jusqu'à présent, on a visiblement préféré faire compliqué.

La méthode classique pour traiter les acteurs de manière identique est de créer un système de droits d'émission négociables. Un objectif de contrôle global des émissions polluantes doit d'abord être défini, puis un volume correspondant de permis à polluer est alloué, soit gratuitement soit par leur mise aux enchères.

Les entreprises qui polluent plus qu'elles n'ont de permis doivent alors en acheter sur le marché ; celles plus vertueuses polluant moins qu'elles n'ont de permis revendent leur permis à polluer excédentaires. Pour toutes, le coût de la pollution est le prix de marché, que l'allocation initiale ait été gratuite ou (dans le cas d'enchères) payante.

Et les ménages dans tout cela ? On peut choisir l'option d'une taxe carbone à condition que son niveau soit établi (cela a été le cas en France) et reste en cohérence avec le prix payé sur le marché des droits à polluer réservé aux entreprises ; ou suivre M. Obama en soumettant en amont les raffineries, producteurs ou importateurs de gaz au système de droits à polluer négociables, ces entreprises transmettant le "signal prix carbone" aux consommateurs.

L'absence de différence de traitement des acteurs est cruciale pour atténuer l'impact de la lutte contre le réchauffement climatique sur le pouvoir d'achat et aussi pour rendre cette lutte crédible, tout accord trop coûteux étant voué à terme à être abandonné. Au vu des expériences passées, un système de prix unique diminue le plus souvent le coût de dépollution de moitié ou plus, par rapport à des approches administrées créant des régimes discriminatoires entre secteurs ou acteurs.

L'exemple le plus abouti de lutte contre une pollution, en l'occurrence les oxydes de soufre et d'azote, responsables des pluies acides, a pour origine une loi votée aux Etats-Unis en 1990. Il fut alors décidé de réduire les émissions de 20 millions de tonnes annuelles à 10 millions à partir de 2000, et donc d'émettre une quantité correspondante de droits négociables sur un horizon évolutif de trente ans (les permis donnant droit à polluer en 2039 sont émis aujourd'hui). La longueur de cet horizon est importante à deux titres. Les acteurs économiques (entreprises, ménages, administrations, Etats) ne choisiront des équipements non émetteurs de gaz à effet de serre que s'ils anticipent un prix du carbone suffisamment élevé à l'avenir. De même, les entreprises ne feront les efforts nécessaires pour développer de nouvelles technologies non polluantes que si elles y voient un intérêt économique. De plus, la création de marchés à terme permet aux acteurs de se couvrir contre le risque sur le prix carbone. En bref, une vision à long terme permet de réduire l'incertitude.

Cette loi ainsi que d'autres expériences montrent la voie pour résoudre le problème épineux de la compensation. Les Etats du Midwest, gros pollueurs avec leurs centrales à charbon, s'étaient arc-boutés contre la loi de 1990. On tint compte de leur situation particulière en leur attribuant des permis gratuits, mais le prix de marché de ces permis les incita ensuite à réduire fortement leur pollution.

Leur traduction au niveau international

Pour combattre le réchauffement climatique, les négociateurs devraient s'inspirer de ces pratiques au niveau des pays et mettre en place un système mondial de droits négociables. Ils attribueraient d'emblée des permis à polluer gratuits en nombre suffisant aux Etats qui, sans cela, refuseraient de signer un accord contraignant et pollueraient de façon conséquente.

Dans un esprit de subsidiarité, les pays alloueraient eux-mêmes les permis à polluer au niveau domestique. Les gouvernements nationaux sont les plus à même d'obtenir un consensus dans leur propre pays ; la communauté internationale doit se préoccuper uniquement du niveau global des émissions de chaque nation, et leur déléguer la mise en place d'une politique adaptée. En particulier, même si l'unicité du prix au sein de chaque pays minimise ses coûts d'abattement, la subsidiarité autorise tous les pays à une différenciation ; par exemple, l'Inde pourrait tout simplement décider de limiter l'impact du prix du carbone sur celui du ciment, ce dernier conditionnant l'amélioration de l'habitat d'une fraction de sa population.

Une feuille de route pour Copenhague

Quelles devraient être les buts des négociateurs de Copenhague ? Ils devraient tenter de parvenir à un accord sur quelques actions immédiates, sur des principes généraux, et sur la mise en place d'un calendrier de négociations d'ici à 2015-2016 sur les points suivants :

- Un objectif de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2050, correspondant aux indications du GIEC.

- Le déploiement rapide d'un réseau de satellites capables de mesurer précisément le niveau des émissions dans chaque pays.

- La création d'un système mondial de droits à polluer négociables sur un marché. Un tel système, avec un prix unique à l'échelle internationale, diminuerait le coût d'ensemble de la réduction des émissions, et fournirait des repères chiffrés et de long terme à ceux qui hésitent actuellement à investir dans des technologies vertes.

- La mise en place d'une gouvernance mondiale incitant les différents pays à se joindre à l'effort de lutte contre le réchauffement climatique et ensuite à se conformer aux règles collectives. Dans un tel cadre, il deviendrait possible par exemple de traiter la dette environnementale des pays comme une dette souveraine (surveillée par le Fonds monétaire international) ; on pourrait parvenir à un accord global sur le commerce et l'environnement (en partenariat avec l'OMC) ; il serait également envisageable de mettre en réserve et de retirer si nécessaire une partie des permis de polluer attribués aux pays et de rendre publics leurs agissements...

- Le respect du principe de subsidiarité.

Dans un tel cadre, les négociations à l'horizon de 2015 pourraient se focaliser sur une seule question : l'allocation de droits à polluer gratuits entre pays, afin de n'en laisser aucun, et en particulier parmi les pays émergents, à l'écart de la démarche. Pour complexe qu'elle soit, une telle négociation serait plus simple que le marchandage multidimensionnel dans lequel nous sommes engagés. Elle permettrait aussi de diminuer de manière substantielle le coût global de la réduction des émissions polluantes. Dans la situation actuelle, s'engager ainsi sur la voie d'une bonne gouvernance serait un grand pas en avant.

Jean Tirole, économiste.