Négocier la paix en Syrie

Pour la première fois en cinq ans, une opportunité de sortir de l’impasse du conflit syrien semble se présenter. Le 18 décembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité une résolution appelant à un plan de paix dont les bases ont été posées un mois plus tôt par le Groupe de soutien international à la Syrie. Si cette nouvelle tentative de revitaliser le processus de paix syrien veut avoir une chance d’aboutir, cinq leçons tirées d’expériences de négociations passées doivent être prises en compte.

Connecter les négociations à la réalité sur le terrain

Au moment de décider des délégations à intégrer aux négociations, il est important de ne pas ignorer les «veto players», ces individus ou coalitions ayant la capacité de faire avorter les discussions ou de rejeter un accord négocié au moment de sa mise en œuvre. Au Yemen par exemple, le manque de représentation des Houthis dans les négociations concernant la structure fédérale de l’Etat avait mené à leur rejet du dialogue national et à leur reprise du conflit armé.

Avoir un groupe d’opposition unifié à la table des négociations n’est pas un prérequis pour le succès des pourparlers. Les gouvernements à faible légitimé vont avoir tendance à exiger une délégation d’opposition unique s’ils estiment que les groupes la constituant vont se monter les uns contre les autres; ou au contraire, faire pression pour avoir le plus possible de délégations d’opposition afin de diluer leur pouvoir.

Outre l’intégration des groupes armés dans les négociations, l’inclusion de la société civile augmente les chances de parvenir à un accord de paix viable. Cependant, élargir le nombre de participants sans leur donner de capacité d’influencer le processus est un artifice souvent contre-productif sur le long-terme.

Le rôle des femmes

Les femmes jouent un rôle significatif dans les négociations, non seulement en y contribuant de manière substantielle, mais également en poussant les parties au conflit à la signature d’accords de paix. Leur inclusion est optimale quand un quota de femmes par délégation – sélectionnées selon leur affiliation politique – est combiné avec une délégation de femmes indépendante. Pour leur part, les groupes de la société civile vont être davantage en mesure de diversifier l’agenda des négociations, et donc d’adresser les causes profondes du conflit, rassemblés dans une même délégation que répartis dans différentes délégations où leur voix est souvent marginalisée.

Il est récurrent que des parties aux négociations refusent d’inclure des délégations de la société civile jugées trop proches de leurs «adversaires». Par le passé, les médiateurs ont relevé ce défi de trois manières. La solution classique est d’assurer un équilibre des pouvoirs entre les participants officiels. Si cela ne fonctionne pas, il est possible d’établir des forums de la société civile reconnus par l’équipe médiatrice et les parties aux négociations. Ainsi, les négociations pour la Colombie qui ont actuellement lieu à Cuba, ont été précédées par des consultations avec une série de forums consultatifs en Colombie, organisées par le PNUD et l’Université catholique de Bogota.

Si les parties refusent un forum consultatif officiel, la troisième option est de mettre en place un forum informel. C’est ce qui s’est passé au Kenya en 2008, durant les négociations organisées suite aux violences post-électorales, quand trois forums de la société civile se sont établis avec un mandat informel. Les médiateurs, Kofi Annan et Graça Machel, de l’équipe de médiation de l’Union africaine ont rendu les trois forums quasi-officiels de facto en les rencontrant de manière régulière, en les encourageant à développer leurs argumentaires, et en invitant leurs représentants aux négociations.

Établir des règles et des procédures de négociation intelligentes

Le plan de négociation le mieux conçu peut échouer pour cause de procédures fragiles ou imprécises. En Syrie, un mélange habile de critères de sélection et de procédures reflétant à la fois la société syrienne et les dynamiques du conflit, pourrait permettre de surmonter l’épuisant débat du «qui nomine qui». Un comité spécial, composé de représentants de différents segments de la société et de l’équipe de médiation, pourrait aussi être chargé de choisir les candidats à la négociation.

L’interférence de grands groupes dans les négociations peut dans une certaine mesure être minimisée en adoptant un niveau de consensus élevé, ou encore en exigeant qu’un vote «véto» doive provenir d’au moins deux groupes. Des comités spéciaux peuvent aussi aider à résoudre certaines questions épineuses, comme démontré avec succès lors du récent Dialogue national tunisien.

Faire le lien entre les négociations et le peuple syrien

Impliquer la population syrienne dans les négociations est essentiel pour légitimer un processus de paix piloté de l’extérieur et éviter que le dialogue ne crée un sentiment d’aliénation. Mais comment inclure le peuple syrien, dont une grande partie a été déplacée par la guerre, aux négociations de paix?

Des consultations au niveau local, ainsi qu’avec les communautés de la diaspora et réfugiées peuvent être organisées par différentes entités, telles une commission indépendante (Turquie), un médiateur (Moldavie), une organisation internationale (PNUD à Chypre ou en Colombie), ou un gouvernement local en coopération avec des commissions spécialisées (Afghanistan, Kenya). Des plateformes en ligne peuvent aussi permettre aux expatriés de formuler leurs propositions, comme cela a été fait au Yemen et en Colombie.

Établir un centre de soutien au dialogue de paix à Genève

Les centres de soutien pour les délégations les moins expérimentées ou pour les forums consultatifs ont grandement contribué à pérenniser les résultats des négociations par le passé. Leur objectif est de fournir aux délégations une expertise rapide sur les sujets discutés aux négociations et de les aider à étayer leurs déclarations et argumentaires.

Maintenir l’unité du Groupe de soutien international à la Syrie

Les pourparlers prenant place dans un environnement complexe et internationalisé sont grandement facilités s’ils ont le soutien des principaux acteurs régionaux et internationaux concernés par le conflit. L’existence du Groupe de soutien international à la Syrie est donc un premier pas réussi, et les récents efforts de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie de le maintenir à flot malgré la crise actuelle entre l’Iran et l’Arabie Saoudite sont primordiaux.

Thania Paffenholz, directrice du Inclusive Peace & Transition Initiative à l’IHEID.

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