Ni larmes, ni fêtes. Ciao Fidel !

La mort de Fidel provoque directement une caricature de la Divine comédie : les rires et les pleurs se succèdent presque sur le même visage. Au-delà de ce manichéisme qui a toujours accompagné le trop long règne de Fidel Castro, il existe en Amérique latine un autre point de vue sur la mort du Lider Maximo, car comprendre – n’en déplaise au ministre français Manuel Valls –, ce n’est pas justifier. Dès lors, qu’est-ce que la gauche alternative latino-américaine peut comprendre et retenir du parcours de Fidel ?

Tout d’abord, quelques faits. Il faut rappeler que la révolution castriste a été la première et la seule à ne pas se faire écraser par les Etats-Unis. On a oublié aujourd’hui l’innombrable liste de démocraties progressistes massacrées pendant trente ans par l’administration américaine, comme ce fut le cas pour l’Argentine avec d’ailleurs l’aide technique et économique de la France démocratique qui envoya ses spécialistes de la lutte contre-insurrectionnelle.

Dans les années 1960-1970, l’école des Amériques, au Panama, était un lieu de passage obligé pour les officiers latino-américains formés par des conseillers américains (et français) aux méthodes de répression et de guerre subversive. Aussaresses, le « bourreau d’Alger » y enseigna comment « bien torturer ».

Le double visage du castrisme

Mais on ne peut pas non plus oublier que les cinquante années de l’ère castriste furent aussi celles de l’autoritarisme, de la répression contre les dissidents et les homosexuels (même si elle n’est pas comparable avec la répression soviétique), d’un égalitarisme salarial concrètement réalisé dans le partage de la pauvreté (in fine, un partage quand même) et de la domination d’une médiocratie bureaucratique qui dans chaque quartier, au sein des CDR (comités de défense de la révolution) organisaient la vie par la délation et la surveillance.

L’expérience cubaine dans sa multi­plicité ne peut en aucun cas être l’objet d’une analyse qui la juge en termes de pour et de contre. On ne peut pas ­comprendre ce double visage du castrisme, et son statut si particulier en Amérique latine, sans rappeler que, ­pendant tout le XXe siècle, les tentatives ­démocratiques se sont systémati­quement soldées par des massacres à chaque fois plus tragiques pour les peuples qui osaient affirmer leur souve­raineté face à la discipline et l’ordre nord-américains.

Mafia de la cocaïne

Qui pourrait aujourd’hui affirmer qu’une autre alternative était envisageable ? Etait-il possible de renverser la dictature de Batista et de mettre en place un ­programme politique et social progressiste sans l’autoritarisme de Fidel ?

On dit que peut-être parmi ses proches d’autres idées furent abandonnés et écrasées : Camilo Cien Fuegos mort « trop tôt », le Che abandonné dans la jungle ­bolivienne, ou plus récemment, les ­commandants Arnoldo Ochoa et Antonio de la Guardia, survivants de l’aile ­guévariste, fusillés en 1989 pour couvrir les accords de Fidel avec la mafia de la cocaïne. Est-ce que ces autres voies possibles, tout en évitant l’autoritarisme, auraient permis d’éviter la déstabilisation et la répression états-uniennes ? Moi-même guévariste, très critique ­vis-à-vis du régime castriste, j’en doute…

Le contexte historique a changé. Et c’est une tâche difficile que de comprendre profondément, c’est-à-dire en intériorité, une période historique qui s’est refermée depuis déjà deux décennies.

En revanche, il est possible de comprendre que ni les larmes ni les fêtes ne sont aujourd’hui appropriées. Ce qu’il nous faut aujourd’hui penser est comment dans notre contexte il nous serait pos­sible de lutter contre le nouvel ordre répressif du monde – celui qui aujourd’hui démocratiquement fait souffrir les peuples et met en danger la vie même sur notre planète – sans tomber dans un l’affrontement du type « Cuba si, Cuba no ».

Une conflictualité multiple et dynamique

Plus que jamais, nous devons avec la gauche alternative latino-américaine penser et assumer une conflictualité multiple et dynamique, qui reste la meilleure façon d’éviter de tomber dans le piège d’un affrontement fatal pour nos démocraties.

A l’heure où disparaît Fidel Castro, comment ne pas penser aux deux grandes figures de la libération latino-américaine contre le colonialisme espagnol, génocidaire des peuples indiens. Le premier était Simon Bolivar (admiré de Castro) qui souhaitait après l’indépendance devenir empereur.

L’autre, José de San Martin, fils d’une Indienne Guarani, expliqua après la victoire que « le sabre du ­libérateur devient celui du tyran si le premier ne se retire pas à temps ». San Martin s’est exilé en France où il a vécu le reste de sa vie dans un exil studieux et sage.

Nous, les ex-guérilleros qui continuons par d’autres méthodes la recherche de la justice sociale et écologique, nous disons simplement et sans regret, « ciao Fidel ».

Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, ancien militant guévariste franco-argentin.

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