« Ni libéralisme, ni nationalisme », Emmanuel Macron ouvre la voie d’un « solidarisme éclairé »

Et si l’on votait « pour » ? Ni libéralisme, ni nationalisme, si l’on votait « pour » la voie ouverte par Emmanuel Macron, celle d’un solidarisme éclairé pour le XXIe siècle ? L’écologisme est probablement l’autre nom de ce solidarisme « en marche », ou « in progress » (comme on dit de ces œuvres ouvertes, sur lesquelles on est en train de travailler). Et il a des racines profondes.

On s’accordera au moins sur ce fait : la scène politique française, telle qu’on la connaissait depuis l’après seconde guerre mondiale, a été nettoyée. Champs de ruines mais aussi terre de renaissance qu’il est urgent de travailler, si l’on ne veut pas assister bras ballants à la plus sombre des renaissances, celle d’un nationalisme d’extrême droite violent.

Les hommes sont des « êtres associés »

« Il est indispensable de réinventer un solidarisme contemporain » (Emmanuel Macron, 2016). Voilà une filiation avouée. Emmanuel Macron revivifie l’héritage social et politique d’un grand homme : Léon Bourgeois (1851-1925), Prix Nobel de la paix (1920), auteur de Solidarité (1896) et de Politique de la prévoyance sociale (1914), théoricien avec d’autres du solidarisme, un des pères à ce titre du système de protection sociale ébauchée sous la IIIe République, dont la Sécurité sociale de 1945 fut l’héritière.

Le solidarisme de Léon Bourgeois visait précisément déjà à dépasser le clivage entre « individualisme libéral » et « socialisme collectiviste ». Il se nourrissait déjà du double refus de la « lutte des classes », structurante pour le socialisme, et de la « lutte pour l’existence », structurante pour l’orthodoxie libérale. Ce double refus se traduit positivement en un terme, celui d’association.

Les hommes sont des « êtres associés », non des « êtres isolés », dit Bourgeois. Parce que l’homme vit en société, parce qu’il en dépend totalement (pour son éducation, sa santé, son épanouissement, la préservation de ses biens…), il est débiteur envers elle, qu’il le veuille ou non.

« Solidarité intergénérationnelle »

Ce point est d’évidence, pour qui a fait l’expérience de tout perdre par suite de la guerre, telles ces personnes réfugiées que j’accompagne dans le cadre de l’association Kodiko. Si la société ne tient pas, je ne tiens pas. Mon existence, mes biens, tout ce que je crois pourtant tenir fermement… Tout cela peut voler en éclats, quelque assurance que j’ai, ou crois avoir souscrite.

De cette solidarité de fait, Léon Bourgeois donnait une lecture positive au tournant du siècle dernier. Comme le rappelle Serge Audier, un de ses exégètes [auteur de Léon Bourgeois. Fonder la solidarité, Michalon, 2007] : « Le nouveau-né prend d’emblée sa part, sans le savoir, de l’immense capital accumulé par ses ancêtres et toute l’humanité. Le moindre geste ou besoin de l’enfant le prouve : sa nourriture est le produit d’une très longue culture, son langage intègre les acquis d’innombrables générations ; et dès qu’il étudie et travaille, le moindre livre que lui offre l’école résulte d’une somme incalculable de travail et d’inventions ». De là, cette phrase célèbre de Bourgeois, qu’il faut savoir entendre : « il n’y a pas de propriété purement individuelle ».

Il y aurait à regarder plus en détail la richesse et les limites de cet héritage solidariste qu’Emmanuel Macron propose de revisiter, et même de réinventer, pour le XXIe siècle. Regarder ce qu’il permet d’opposer à une nouvelle « éthique du risque » valorisée sans précaution en tout lieu. Relever les armes déjà fourbies par les solidaristes des années 1900 pour traiter de la question écologique, via la notion de « solidarité intergénérationnelle » et la reconnaissance de la dépendance des hommes entre eux et à leur milieu naturel.

Le modèle d’une société solidaire

Tout l’enjeu du solidarisme d’hier et d’aujourd’hui est de passer d’une association de fait, qu’il est déjà essentiel de rappeler (qu’on le veuille ou non, nous sommes bel et bien embarqués « dans une même galère »), aux conditions d’une association de droit. Par quel concours ou calcul établir la dette sociale de chacun, à payer en retour à la société qui lui permet d’exister, afin que ce devoir soit solidement établi en droit et ne relève pas, ni du registre de la spoliation autoritaire, ni de celui de l’obligation morale ou d’une charité facilement oublieuse ?

C’est ce chantier social, politique, idéologique qu’Emmanuel Macron a choisi de réouvrir, car le monde a changé. Serge Audier pointait la méfiance des solidaristes envers toute forme de conflictualité (lutte des classes). Il n’y a nul angélisme derrière cela. A un modèle de « société duale », clivée entre gagnants et perdants, entre Français de souche et naturalisés ou étrangers, etc., Léon Bourgeois hier et Emmanuel Macron aujourd’hui opposent le modèle d’une société solidaire : une solidarité de fait, à transformer sans relâche, sur chaque nouveau front, en solidarité de droit.

En 1900, prenant appui sur la discipline sociologique naissante d’Emile Durkheim (1858-1917) et de Marcel Mauss (1872-1950), Léon Bourgeois déclarait : « La solidarité est le fait premier, antérieur à toute organisation sociale ; elle est en même temps la raison d’être objective de la fraternité. C’est par elle qu’il faut commencer. Solidarité d’abord, puis égalité ou justice, ce qui est en vérité la même chose ; enfin, liberté ». Ne serait-il pas temps de considérer, dans le bon ordre, les trois piliers de notre devise républicaine ?

Maÿlis Dupont, Consultante et chercheuse spécialisée en innovation sociale et mesure d’impact et cofondatrice de l’association Kodiko, programme de mentorat de réfugiés par des professionnels en activité.

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