Nicaragua : un scrutin sans campagne ni votants

Une affiche à la gloire de Daniel Ortega et de sa femme, Rosario Murillo, à Managua, le 30 juillet. Photo Jorge Torres. Sipa.
Une affiche à la gloire de Daniel Ortega et de sa femme, Rosario Murillo, à Managua, le 30 juillet. Photo Jorge Torres. Sipa.

Le Nicaragua vient de réélire, le 6 novembre, pour la troisième fois consécutive et pour un quatrième mandat, Daniel Ortega, du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) à la tête de l’Etat, avec comme candidate à la vice-présidence son épouse, Rosario Murillo.

Avec 72,5 % des voix, la victoire d’Ortega aurait bien pu avoir une saveur amère si elle ne s’était pas produite dans des circonstances exceptionnelles. En effet, le scrutin de 2016 vient couronner un cycle d’élections progressivement vidées des attributs de la démocratie représentative. Un cycle qui commence par le retour au pouvoir d’Ortega, en 2006, à la faveur du «Pacte» conclu entre les deux principaux leaders de l’opposition Arnoldo Aleman du parti libéral constitutionnel (PLC) et Ortega dans lequel ils se partagent les nominations au sein des principales institutions du pays, dont le controversé Conseil suprême électoral (CSE). Ils vont également modifier la loi électorale afin que le premier candidat ayant obtenu plus de 35 % des votes avec 5 % d’avance sur son principal concurrent puisse gagner les élections dès le premier tour, accord qui favorise le FSLN, stable autour de 38 % lors des votes précédents.

Un taux d’abstention de 78 %

Cycle qui prend un tournant autoritaire lorsque, après la fraude avérée pendant les élections municipales de 2008, le pouvoir réprime les grandes manifestations qui se tiennent alors pour la dénoncer et maintient à la tête du CSE le principal instigateur de la fraude, Roberto Rivas.

Cycle qui semble enfin trouver son aboutissement dans des élections générales de 2016 sans partis d’opposition, sans campagne et, moins attendu, sans électeurs. En effet, un taux d’abstention extraordinaire, de l’ordre de 78 % selon le «Front ample pour la démocratie» (FAD), dans un pays habitué à se rendre aux urnes, souligne que le peuple nicaraguayen n’est pas dupe du projet dynastique des Ortega.

De fait, depuis son retour en janvier 2007, Daniel Ortega administre le pays avec sa femme comme sa maison. Ils ont progressivement mis en place un système de pouvoir où règne le népotisme, le clientélisme politique, le contrôle de toutes les institutions de l’Etat, de tous les médias – propriété des enfants du couple –, de tous les citoyens via les cellules de proximité du parti des «Comités de pouvoir citoyens» (CPC), et l’enrichissement démesuré du clan et des élites alliées économiques. Sous la mandature de 2011, il n’y a même plus rien d’inconstitutionnel qui ne puisse magiquement devenir constitutionnel. Trois ans plus tard, Ortega obtient finalement du Conseil suprême de justice la réforme qu’il appelle de ses vœux : la réélection indéfinie.

Les mois qui précèdent l’élection voient se succéder une série d’événements relevant de la tragicomédie tropicale. En juillet 2016, le principal parti d’opposition et deuxième force politique en 2011, le Parti libéral institutionnel (PLI) est privé par le CSE de sa personnalité juridique. Son candidat, Eduardo Montealegre, est mis hors jeu. Quelques semaines plus tard, les 28 députés et suppléants de l’opposition (alliance PLI–MRS, mouvement de rénovation sandiniste) apprennent par un communiqué télévisuel qu’ils ont été démis de leur fonction. Dernier acte, le FSLN ne pouvant concourir seul, le CSE repêche les partis éliminés lors de la dernière élection présidentielle pour ne pas avoir obtenu les 4 % nécessaires, selon la loi électorale, à leur maintien aux scrutins suivants. Le CSE remet ainsi en jeu quatre partis ayant obtenu de très faibles résultats en 2011 et trouve même un candidat proche du FSLN pour porter les couleurs du PLI. Pour la première fois dans l’histoire démocratique du pays, le FSLN est de fait le seul vrai parti en lice. Tous les autres candidats ne sont connus de personne, d’autant qu’il n’y a aucune campagne électorale : «A quoi bon une campagne, tout le monde sait qui va gagner», s’insurge un ancien militant sandiniste.

Une «farce électorale»

A partir du mois d’août, l’opposition répond en formant le Front ample pour la démocratie. Près d’une cinquantaine de manifestations sous le slogan «Yo no boto mi voto» («je ne jette pas mon vote») sont organisées dans tout le pays. Quelques jours avant l’élection, les manifestations anti-vote réunissent encore plusieurs milliers de manifestants en majorité paysans, libéraux et anciens contras («contre-révolutionnaires» antisandinistes) qui s’opposent non seulement à la «farce électorale» mais aussi à la loi 840 qui octroie à une entreprise chinoise, HKND, la possibilité d’exproprier des terres dans le cadre d’un méga-projet de canal interocéanique. De fait, l’opposition à Ortega a reconfiguré les appartenances partisanes et divise maintenant une gauche sandiniste entre partisans et opposants à Ortega, et réunit une droite libérale et conservatrice désormais massivement contre le gouvernement.

En outre, l’ampleur de l’abstention pourrait bien signifier que la campagne contre le vote a fait des émules bien au-delà des seuls opposants politiques. Aussi, le soir des élections, tandis que le FAD ne cesse de publier en ligne les photos de bureaux de vote désertés, les chaînes de télévision se félicitent l’une après l’autre d’un processus électoral réussi. Le lendemain, les affrontements sur la côte atlantique qui suivent les résultats montrent que la victoire ne sera pas si simple. Une «farce électorale» aux dires de l’opposition, peut-être bien une farce tropicale, mais à coup sûr de la magie électorale.

Maya Collombon, Enseignante-chercheur à Sciences Po-Lyon, Triangle.

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