Non à l’égoïsme face à l’exil

Si les drames qui se jouent quotidiennement en Méditerranée trouvent leur cause principalement dans les conflits qui ravagent plusieurs régions du monde, ils se développent à la faveur de l’égoïsme des Etats membres de l’Union européenne (UE). En effet, et loin du poncif trop aisé, ce n’est pas l’UE qui est responsable de la situation que l’on connaît aujourd’hui en Méditerranée, mais bien ses Etats. Ce sont eux qui refusent de développer de vastes opérations de surveillance, et par conséquent de sauvetage, dans le cadre du mandat de Frontex, qui refusent d’accepter des programmes européens de réinstallation obligatoires des réfugiés et refusent de développer une véritable politique étrangère et de sécurité commune.

Autrement dit, l’absence de volonté politique commune des Etats membres prive l’UE de la capacité de prévenir les drames humains dont la Méditerranée est aujourd’hui le macabre reflet. Les résultats du sommet européen du 23 avril sont décevants. L’absence de volonté politique commune et de solidarité illustre en fin de compte la distance froide ou, pire, le cynisme des responsables politiques vis-à-vis de la souffrance humaine.

L’introduction de la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement exposant la situation tragique en Méditerranée et la volonté de tout mettre en œuvre pour empêcher les personnes de mourir en mer n’est qu’un faux-semblant. Le manque d’ambition apparaît dès ses premières lignes. Sauver des vies en mer impose de développer en urgence une vaste opération de sauvetage.

Un service minimum

Si l’annonce du triplement des ressources financières et du renforcement des moyens alloués aux opérations conduites constitue une « bonne nouvelle », elle doit être relativisée. En effet, en acceptant de porter à 9 millions d’euros par mois le financement de l’opération « Triton », censée soutenir l’Italie face à l’afflux de migrants par voie maritime, les Etats membres financent à Vingt-Huit ce que l’Italie avait supporté seule pendant une année avec l’opération « Mare Nostrum ». En outre, les conclusions ne disent mot de l’étendue géographique de l’opération. Reste à voir si « Triton » sauvera autant, voire plus de vies, que l’opération « Mare Nostrum » (plus de 150 000 en une année).

Les développements les plus substantiels de la déclaration finale sont consacrés à deux thématiques : la lutte contre les trafiquants et la prévention des flux d’immigration illégale. Cette focalisation sur les aspects sécuritaires démontre l’enfermement idéologique des Etats membres. Il ne s’agit pas de nier l’importance de lutter contre ces phénomènes et de développer des actions en ce sens, mais de souligner l’incapacité des décideurs européens à proposer d’autres solutions que le bâton pour répondre à l’urgence humanitaire.

A ce titre, la coopération avec les pays tiers est principalement abordée dans sa dimension de contrôle et d’éloignement. Or, prévenir les morts en mer implique de permettre aux réfugiés ou candidats réfugiés d’accéder au territoire de l’UE sans avoir à remettre leur vie entre les mains de trafiquants ou aux humeurs de la mer. Cela signifie tout simplement offrir à ces personnes des voies d’accès légales. Ici, le Conseil européen fournit le service minimum. La proposition relative à la réinstallation sur le territoire des Etats membres des personnes reconnues réfugiées dans les pays tiers est affligeante.

Elle reste régie par le volontariat, c’est-à-dire qu’un Etat membre peut décider de participer ou pas. Ensuite, les dirigeants européens ne sont pas parvenus à un accord sur le nombre de personnes à réinstaller, pas même sur celui proposé par la Commission européenne de 5 000 personnes. Or, cette difficulté à s’entendre sur ce chiffre laisse songeur lorsque l’on se rappelle que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) demandait en 2014 aux Etats européens de réinstaller 130 000 réfugiés syriens.

La protection temporaire

Alors que de déclarations en communiqués la crise syrienne est qualifiée de plus grave crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale, aucun dirigeant européen n’évoque la possibilité d’avoir recours à la protection temporaire. Adoptée à la suite du conflit yougoslave, la protection temporaire est une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif – ou d’afflux massif imminent – de personnes déplacées en provenance de pays tiers, une protection immédiate et temporaire à ces personnes. La perspective plusieurs fois annoncée de l’arrivée d’un demi-million de personnes, voire davantage, sur les côtes européennes en 2015 aurait pu inciter les Etats à aborder cette question.

Autre absent des débats relatifs à la solidarité, l’article 78.3 du traité de l’Union. Celui-ci prévoit que le Conseil peut adopter des mesures provisoires au profit d’Etats membres qui « se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers ». Il ne semble donc pas qu’aujourd’hui l’urgence soit caractérisée au point de mobiliser ce dispositif de solidarité.

Le sommet européen d’avril 2015 n’apportera pas de réponse adaptée à la situation humanitaire sans précédent qui frappe les régions situées au pourtour immédiat de l’UE. En conséquence, les drames qui se sont enchaînés récemment ne seront ni stoppés ni réduits. En fin de compte, la Méditerranée est le reflet cruel d’une double réalité : celle de l’instabilité d’un monde où des millions de personnes sont jetées sur les routes de l’exil, et celle de l’égoïsme et de l’hypocrisie des Etats membres de l’UE qui, derrière une indignation de façade, rechignent à remplir leurs obligations politiques et morales face à l’horreur.

Yves Pascouau, directeur du programme « Migration and Diversity », European Policy Centre, Bruxelles.

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