Non à l’Europe à la carte, oui à l’Europe à deux vitesses

Le mieux est l’ennemi du bien, et mes amis fédéralistes et proeuropéens auraient été bien inspirés de songer à cet adage plein de bon sens avant de tirer des conclusions négatives et aussi définitives sur le compromis intervenu au Conseil européen à la mi-février pour éviter le «  Brexit  ». Bien sûr qu’il est regrettable d’en être réduit à négocier un accord bilatéral entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, dont le «  statut spécial  » semblait déjà bien ancré pour ne pas le singulariser davantage.

J’avais moi-même préconisé qu’on profite de cette occasion pour élargir le débat institutionnel, en particulier pour améliorer la gouvernance de la zone euro. Mais la veulerie et le «  courtermisme  » l’ont emporté, et les chefs d’Etat et de gouvernement ont préféré un classique arrangement entre «  amis  » à une sortie par le haut permettant de donner un nouvel élan à la construction européenne.

Imbroglio juridique

Cependant, à quoi cela sert-il de pleurnicher sur le lait renversé  ? Surtout avec des arguments parfaitement réfutables. Ainsi, on aurait ouvert la boîte de Pandore de l’Europe à la carte… Mais l’Europe à la carte, c’est aujourd’hui  ! C’est aujourd’hui que la Suède ou la Pologne ne sont pas dans la zone euro, alors que rien, dans les traités, contrairement au Royaume-Uni, ne les exempte de cette appartenance. C’est aujourd’hui que l’Italie et l’Espagne n’adhèrent pas au brevet européen. C’est aujourd’hui que l’Autriche décide unilatéralement de limiter le nombre de demandeurs d’asile. C’est aujourd’hui – et hier aussi, à vrai dire – que la France ne remplit pas ses engagements budgétaires. Et c’est surtout aujourd’hui que le Royaume-Uni bénéficie d’une myriade d’exemptions et de dérogations. Ce n’est même plus à la carte, c’est à la pièce faite sur mesure  !

Cet accord va justement permettre de sortir de cet imbroglio juridique, qui rend l’Europe tellement incompréhensible pour nos concitoyens. Le Royaume-Uni, sans doute à son corps défendant, va offrir une occasion d’une révision générale des traités. Pour la première fois depuis 2007, une telle perspective est en effet officiellement ouverte par les chefs d’Etat et de gouvernement, non pas seulement pour constitutionnaliser les dispositifs prévus pour complaire à Londres, mais pour revoir, de fond en comble, le fonctionnement de l’UE et de la zone euro. C’en sera fini de l’Europe à la carte.

Le réalisme oblige à changer de doctrine

Dans un premier cercle siégeront et décideront ceux des Etats membres qui ont conscience que l’UE a besoin de davantage d’intégration – et la récente réunion des six pays fondateurs à Rome est assez éloquente à ce propos – et, dans un deuxième cercle ceux qui se contentent d’une coopération au sein d’un marché unique.

A vrai dire, cette Europe à deux vitesses n’est pas un projet nouveau. Mais, jusqu’à présent, cette éventualité heurtait la tradition européenne d’accueillir chaque membre à égalité. Au fil des années, il apparaît toutefois que le réalisme oblige à changer de doctrine. Le monde est en changement rapide, et ceux qui veulent progresser pour faire de notre continent une puissance du XXIe siècle – déjà bien engagé – ne peuvent plus se permettre d’attendre ceux qui pensent que leur souveraineté nationale est un horizon indépassable. La souveraineté sera européenne ou elle ne sera pas.

Que le oui ou le non l’emporte, le 23 juin, lors du référendum britannique, plus rien ne peut maintenant arrêter ce débat. Nous célébrerons, en 2017, le 60e anniversaire du traité de Rome. Il ne s’agira pas d’un simple hommage, mais du point de départ d’une nouvelle Europe plus efficace et plus démocratique.

Guy Verhofstadt, Ancien premier ministre belge, député européen et président du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe au Parlement européen.

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