Non, la Libye n’est pas l’Irak

ttaque au véhicule piégé en Libye. Syrte, 18 août 2016. © REUTERS/Ismail Zitouny
ttaque au véhicule piégé en Libye. Syrte, 18 août 2016. © REUTERS/Ismail Zitouny

L’intervention en Libye en 2011 fut-elle une tragique erreur? Au vu de l’état actuel du pays – plongé dans le chaos politique et gangrené par le djihadisme – difficile d’affirmer le contraire. Le rapport d’une commission parlementaire britannique publié cette semaine enfonce le clou: cette intervention était fondée sur des «postulats erronés»; on a tordu le cou à une résolution de l’ONU; les Occidentaux ont ignoré les voies de la négociation politique. En filigrane, on comprend que Londres n’a pas su tirer les leçons de l’Irak.

Si le rapport britannique attribue la responsabilité de cet échec au premier ministre de l’époque, David Cameron, il est plus embarrassant encore pour Nicolas Sarkozy. Le président français aurait forcé la main de ses alliés pour toute une série de mauvaises raisons. Selon une note d’un conseiller d’Hillary Clinton – alors secrétaire d’État – évoquant une conversation avec le renseignement français, le locataire de l’Elysée voulait déloger Mouammar Kadhafi pour gagner des parts de marché pétrolier, accroître son influence régionale, renforcer l’armée française, faire barrage aux ambitions libyennes et, las but not least, renforcer son prestige politique à un an de l’élection présidentielle.

Brûlante actualité

Ce descriptif est ravageur. Même si l’on peut douter que l’argument pétrolier fut déterminant, il accrédite la thèse d’un cynisme absolu provoquant une guerre guidée par les seuls intérêts de la France et d’une ambition politique. Interpellé jeudi soir à la télévision sur son bilan libyen, le candidat Sarkozy dit ne rien regretter. Sa décision fut motivée par la nécessité d’éviter un nouveau Srebrenica et, après la mort de Kadhafi, des élections débouchèrent sur la création d’un gouvernement d’unité nationale. La seule erreur fut d’abandonner la Libye à son sort. C’était après son départ de l’Elysée.

Le rapport britannique est d’une brûlante actualité. Les questions qu’il soulève et les réponses qu’on y apporte sont en prise avec le destin de la Syrie. Les opposants à toute forme d’intervention militaire seront confortés dans leur analyse. Barack Obama – qui s’était laissé convaincre par Sarkozy, Cameron et Clinton – a déjà confié que la Libye était son principal regret en politique étrangère.

Lecture en trompe-l’œil

Avant qu’un nouveau récit ne s’impose sur le non-sens de l’intervention en Libye, il faut pourtant se garder des lectures en trompe-l’œil. La Libye n’est pas l’Irak. Le contexte et l’intention de l’une et l’autre de ces deux guerres furent très différents. L’intervention libyenne a été validée par l’ONU et appelée de leurs vœux par la Ligue arabe et l’Union africaine dans un contexte de soulèvements populaires dans une grande partie du monde arabe. Il y avait alors un large accord – y compris des Russes et des Chinois – pour protéger les populations en révolte à Benghazi. C’était un signal fort.

L’interprétation du mandat a toutefois aussitôt été l’objet d’un bras de fer. On savait que Paris, Londres et Washington ne l’avaient pas respecté à la lettre. Cela pose la question de toute intervention au nom du chapitre VII de la charte des Nations unies – le devoir de protéger. Est-il possible de s’engager militairement dans un conflit interne sans que cela aboutisse en dernier ressort à un changement de régime ou à tout le moins à une longue occupation pour pacifier le pays? Si les bombardements sur la Libye avaient cessé après 24 heures (le temps nécessaire pour stopper les troupes de Kadhafi), aurait-on évité une guerre civile? C’est toute la question.

L’irresponsabilité de l’intervention libyenne fut non pas de passer à l’action mais de ne pas penser à la suite du scénario.

Frédéric Koller, journaliste.

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