Non madame Millet

Non madame Millet, toutes les femmes n’attendent pas comme vous dans le métro la main d’un inconnu sur leurs cuisses.

Non madame Millet, toutes les femmes n’ont pas les moyens d’oublier en quelques secondes des gestes qui sont des intrusions qui les surprennent dans leur vie de tous les jours. Le transport public n’est pas le lieu le plus haut de la sexualité et de la sensualité. Peut-être l’est-il pour vous, qui défendez les frotteurs du métro mais pas pour la plus grande majorité des femmes qui prennent les transports publics par nécessité.

Non, toutes les femmes n’ont pas les moyens de cette résilience dont vous parlez après une agression sexuelle ou un viol.

Non, toutes les femmes n’ont pas cette capacité à sortir victorieuses d’un traumatisme sexuel.

Implicitement, vous reprochez aux femmes d’être faibles quand elles ne peuvent pas oublier. Cette faculté d’oubli et de «mise de côté», comme vous le dites dans votre interview sur France Inter le 12 janvier à 7h49, serait la voie à suivre pour les femmes qui sont fortes.

Non madame Millet, toutes les femmes ne sont pas fortes après une agression.

Ne confondez pas votre libertinage personnel avec la vie des autres femmes, ne laissez pas la grande écrivaine que vous êtes prendre la parole pour nous.

Vos propos sont ceux d’une génération passée et d’une classe protégée où les rapports entre les femmes et les hommes sont régis par des règles de galanterie, de snobisme sexuel ; où la frivolité est une mode, un genre, un luxe, une identité, une jouissance…

Je suis danseuse et chorégraphe, un métier où le rapport au corps, à la sexualité peut paraître plus libéré, plus facile. La danseuse a souvent l’image d’une fille abordable, bien dans son corps, maîtrisant son image, dévoilant sa sensualité, ses émotions, mais c’est souvent tout le contraire.

Depuis l’affaire Weinstein beaucoup de femmes se sont interrogées sur leur passé, sur certaines situations qu’elles avaient pu vivre, oubliées ou mettre de côté. Des gestes sont remontés à la surface, des souvenirs douloureux sont revenus. Depuis cette affaire, j’ai moi aussi compris quelque chose de mon passé, et notamment pourquoi à un certain âge de ma vie d’adolescente j’ai commencé à m’habiller en garçon manqué – cheveux courts androgynes – toujours en pantalon et en basket. Le seul moyen sans doute, à mes yeux, de ne pas me faire agresser et de pouvoir être libre de mes choix, de mon regard sur le monde et sur la société. Cela a été une manière de me protéger qui n’était pas un choix mais une nécessité. Car les agressions physiques ou verbales que l’on vit quand on est une femme jeune sont constantes, inattendues et souvent insupportables; elles vous enlèvent votre liberté de regard, de circulation, d’être au monde.

Cette affaire de révélation de harcèlement sexuel est ce qui est arrivé de mieux aux femmes – et sans doute aux hommes – depuis longtemps. Enfin, des paroles se sont libérées, des mots sont mis sur des actes; des gestes ignorés par la société et des comportements déplacés sont enfin analysés et possiblement jugés.

Dans le monde entier, une vague énorme de prise de conscience a submergé les femmes, mais aussi les hommes, et si la situation actuelle peut parfois avoir des accents déplaisants ou critiquables, comme tout événement révolutionnaire, ce n’est qu’une étape nécessaire – et trop longtemps attendue – vers une métamorphose de la société, ce n’est que le début de l’invention (nous l’espérons) d’une nouvelle façon de penser et de vivre les rapports des femmes et des hommes entre eux.

Mathilde Monnier, danseuse et chorégraphe.

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