Non, Vladimir Poutine n’est pas l’ennemi de l’Europe

Au vrai, est-ce le manque de discernement ou bien le ressentiment qui peuvent, en France, nous rendre aveugles à ce point ? Si l’on demande à nos médias, à nos experts, quel est notre ennemi principal, que répondent-ils ? « Celui qui tue nos soldats en Afrique ou celui qui attire nos jeunes dans les rangs du djihad. A moins que ce ne soit le même… – Nenni, répond l’écho, c’est Vladimir Poutine ! »

Est-ce son sourire, celui de la paix, que M. Hollande est allé chercher à Moscou. Ils s’en sont échangé un, certes : mais est-il destiné à être aussi éphémère qu’un baiser provisoire ? Car il est des griefs qu’on pourrait égrener. Et d’abord la façon dont la Crimée a été greffée sur la mère Russie, au reste à la satisfaction de la majorité de ses habitants, qui est russe.

Sans parler de la manière, encore moins catholique – armes à la main – dont une partie de l’est de l’Ukraine veut se détacher, avec, subrepticement, le soutien du Kremlin – ce qui d’ailleurs ne semble pas enthousiasmer le peuple russe en son ensemble. A tort ou à raison, voilà qui rappelle 1938, c’est-à-dire les Sudètes, Munich et la Tchécoslovaquie. Mais, dans un autre contexte, cela rappelle aussi l’invasion de la Finlande par Staline à la fin de 1939. C’est alors que la France, indignée, a regroupé des troupes de montagne pour les envoyer en urgence, par la Norvège, au secours de la petite Finlande. Mais, nous ont dit nos alliés, les Anglais : « Ce n’est pas avec l’URSS que nous sommes en guerre, c’est avec l’Allemagne nazie. » Or, nous a répété hier la chancelière Merkel, « ce n’est pas avec la Russie que nous sommes en conflit, mais avec les djihadistes de l’islamisme extrême ».

Fleurs de rhétorique

D’où peut donc venir cette méprise ? De fait, une partie des Français, la droite, demeure encore tétanisée par la grande peur que lui a causée la puissance de l’URSS et la montée du communisme. Quant à l’autre partie, la gauche, elle ne peut pas pardonner à la Russie d’avoir fait naufrager le grand espoir de socialisme. Sa raison d’être n’en demeurant pas moins vivante, cette faillite a contribué, en outre, à rendre inopérant son argumentaire. Et on n’a pas encore trouvé le moyen de le renouveler.

C’est dans le cadre de l’Union européenne (UE) que la France a participé aux sanctions contre la Russie, escortée entre autres de ces six Etats de l’Est qui sont à la fête d’être enfin aux côtés d’une Europe au service de leur sécurité. Car, pendant longtemps, la France et ses voisins n’avaient trouvé pour les soutenir que des fleurs de rhétorique. « Nous ne devons rien à l’Europe, me disait Bronislav Geremek, devenu ministre des affaires étrangères de Pologne après la chute du mur de Berlin. Voilà pourquoi, plutôt que de subir un examen pour y entrer, nous passerons par l’OTAN, car c’est elle qui saura assurer la garde à nos frontières. »Cette garde est assurée au-delà, puisqu’elle s’est étendue à un souci très remarqué pour les affaires de Géorgie, d’Ukraine, voire des pays baltes.

En France, on s’est indigné que M. Poutine juge scandaleuse cette sollicitude aux portes de la Russie. En réponse, pour affaiblir cette UE, ingrate au moins en France, au regard de l’effort de guerre de son pays, M. Poutine renforce les ennemis de l’intérieur de cette UE en aidant financièrement les partis populistes européens. Mais ce n’est pas être son ennemi. Quant à cette UE si vive à sanctionner Moscou, on s’interroge sur l’aide qu’elle apporte à la France là où elle la protège avec son sang et son argent.

Par Marc Ferro, Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

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