Notre-Dame, un cœur du monde a brûlé cette nuit

Paris, 16 avril 2019. Incendie à Notre Dame de Paris. Photo Yann Castanier. Hans Lucas
Paris, 16 avril 2019. Incendie à Notre Dame de Paris. Photo Yann Castanier. Hans Lucas

C’est souvent quand on perd quelque chose que l’on se rend compte de sa valeur. Est-ce ce qui arrive avec Notre-Dame de Paris ? La structure a résisté, disent les pompiers, tandis qu’une croix de feu a dévoré tout le sommet de l’édifice pendant des heures. Cet incendie terrifiant a, de surcroît, pris un relief tout particulier en survenant au début de la semaine sainte, et personne n’est resté indifférent quand on a vu, directement ou sur les écrans, en boucle, la flèche ardente de la cathédrale s’effondrer, dans un mélange de tristesse et de stupéfaction. Pourquoi ?

On aura répété à l’envi que, au-delà de la religion, ou des croyants, c’est bien toute la nation française qui était touchée au cœur. C’est sans doute vrai, mais on pourrait aussi retourner l’argument, en affirmant que c’est aussi parce que Notre-Dame symbolise le dépassement de soi, la transcendance, la beauté, que sa destruction bouleverse tant.

Cette charpente magnifique, – qui était d’origine, une rareté en France et en Europe –, on l’appelait «la forêt» tant elle était vaste et grandiose. Elle avait requis les efforts de milliers d’ouvriers, pendant des siècles. Le bois de chêne avait demandé un travail inouï pour prendre place sur les toitures. Et cette charpente d’exception, comme un navire immense, avait traversé les siècles jusqu’à nous. Quoi que l’on dise, ce savoir-faire si extraordinaire, cet élan collectif a irrémédiablement disparu en quelques heures. On peut donc se demander si nous serons capables de trouver la force d’un élan similaire. Certes, nous avons les savoir-faire, mais il faudra durer, surmonter les clivages et les divisions.

Mais après tout, pourquoi donner tant d’importance à ce bâtiment ? On pourrait objecter que d’autres chantiers, notamment sociaux, sont plus importants, plus urgents. Or, comme l’ont déjà fait remarquer bien des commentateurs au moment de l’incendie, il y a ici bien plus qu’un bâtiment, aussi monumental soit-il. Il s’agit d’une mémoire commune, d’un vécu commun, d’un repère à la fois ancien et profondément ancré dans le territoire non seulement parisien, mais aussi national et, mondialisation oblige, global. C’est pourquoi, comme la tour Eiffel, il parle à toutes et tous.

Notre-Dame, comme une histoire que l’on aime à se raconter, c’est aussi un mythe, que l’on reformule sans cesse pour le rendre à chaque fois un peu plus vrai. Rien de vermoulu ou de figé, au contraire ! Un torrent rapide et vif qui fait naître nombre d’idées sans cesse nouvelles, capables d’apporter un renouveau à la vie collective par l’inspiration qu’il procure. Que ce torrent disparaisse, et c’est le désarroi.

Toutes sortes de malheurs peuvent détruire les symboles vivants des peuples : du pont de Mostar en Bosnie-Herzégovine à Alep, en passant par Berlin ou Palmyre, les guerres n’ont ainsi eu de cesse de faire disparaître, volontairement ou non, ce qui servait de point de repère pour les populations. Et un peuple sans ces points de repère matériels peine alors à se survivre à lui-même. C’est pourquoi la destruction du patrimoine, matériel ou non, est si dramatique, et nous touche autant. Notre-Dame est également un paysage émotionnel, qui est un support à nos imaginaires, à notre créativité. Au-delà même de l’histoire, cet imaginaire collectif touche aussi au sacré, au spirituel, parce qu’on a conscience qu’au-delà de toutes nos divisions il y a bien quelque chose qui fondamentalement rassemble. Et si ce quelque chose disparaît, littéralement le cœur n’y est plus. Le Président a rappelé, à juste titre, que le kilomètre zéro de toutes les routes de France partait de Notre-Dame de Paris. Alors oui, si Notre-Dame brûle, c’est comme si un cœur du monde disparaissait. C’est une catastrophe culturelle. Mais comme il a été dit, il faut déjà imaginer la suite, et rebâtir, inlassablement, pour préserver cet élan, tout en gardant cette conscience intime de la perte.

Par Brice Gruet, géographe, chercheur au Laboratoire Architecture Anthropologie.

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