Notre-Dame : un témoignage de la grandeur de l'homme

Ce qui s’est joué lundi au soir dans l’incendie de Notre-Dame de Paris est de l’ordre du spirituel. L’ensemble des commentateurs se plaît à souligner la triple importance de la cathédrale à la fois pour l’ensemble des catholiques, pour la ville de Paris et la nation française et enfin pour l’humanité. C’est dans ce dernier lien et ce qui ravive en chacun de nous le sentiment d’un héritage commun qu’il faut inscrire le sens de l’événement. C’est ce qu’ont si bien rendu à leur époque Michelet et Hugo qui ont situé dans cette grande ombre se dressant sur la Seine et le mystère de ses gargouilles l’aventure spirituelle de l’humanité. L’importance de l’incendie qui a embrasé lundi le ciel de Paris, provoquant une tristesse unanime, tient précisément au sentiment partagé que partait en fumée l’un des témoignages les plus hauts de notre appartenance à cette terre.

Héroïsme perdu

Mais, pourrait-on dire, la portée symbolique de l’événement dépasse encore cette dimension. Car d’elle pourrait bien émerger une inversion du sens de l’histoire. Notre-Dame renouerait ainsi avec le rôle qui fut si souvent le sien depuis plus de huit siècles : celui d’une nef faisant signe non seulement vers le rayonnement d’un peuple ou d’une nation, mais proclamant du haut de sa nef la grandeur de l’espèce humaine. Ce qui explique que l’une des images les plus choquantes fut sans doute le moment où la flèche, cédant aux flammes auxquelles elle avait résisté une heure durant, s’abattit sur l’ensemble de l’édifice.

La tristesse qui a gagné les quatre coins de la planète tient au sentiment que chacun a eu en son fort le plus intime l’impression de voir disparaître un des témoignages les plus élevés de la grandeur de l’homme et de sa création. Car la grandeur dont il s’agit n’est pas n’importe laquelle. Sans être un spécialiste de l’histoire architecturale ou du Paris du XIIIe siècle, tous ceux qui ont approché ou visité Notre-Dame n’ont pu manquer d’être saisis au vu de ce paysage de voûtes et de pierre par l’audace et la ténacité dont il témoigne, mais également par les efforts de plusieurs générations et le compagnonnage qui ont rendu possible son édification. Comme si l’homme sur ce petit bout de terre entre deux rives affirmait haut et fort sa volonté de se tenir debout, de relier la terre et le ciel, d’envoyer au monde un message de beauté et de fraternité, envers et contre tout, contre les éléments d’abord mais aussi contre les invasions et les massacres, les exactions empruntant le lit du fleuve pour répandre la violence et le malheur.

Sursaut national et international

Ce que nous conte Notre-Dame, c’est un héroïsme et une grandeur dont nous avons perdu l’habitude, dont nous nous sommes détournés aujourd’hui, et que les porteurs de bonne conscience fustigent à travers les actions de l’homme dans la nature au prétexte qu’elles détruisent le monde à venir et annihilent les chances qu’ont les générations futures de pouvoir y vivre. Ces écologistes de tout poil qui nous promettent l’apocalypse quand bien même nous changerions nos comportements, ceux qui nous disent qu’il est déjà trop tard pour l’humanité et qu’il n’y a plus rien à faire.

Ce qui frappe dans le sursaut national et international que l’on voit se dessiner, c’est, au contraire, qu’il relève d’une autre histoire et d’une autre fierté. Une histoire qui nous enracine dans le passé au lieu de nous projeter dans le futur, une histoire qui exalte les gestes les plus ambitieux de l’homme – édifier sur plusieurs siècles un monument qui chante autant la gloire de Dieu que celle de ses bâtisseurs, montrer que le monde ne vaut que s’il est aussi le fruit de ce que notre empreinte peut en faire de plus beau. C’est sans doute aussi cela qui fit dire à Romain Rolland écrivant en 1914 à son ami Gerhart Hauptmann alors que l’Allemagne en guerre bombardait la cathédrale de Reims qu’il s’agissait là avant l’heure d’un crime contre la culture et donc contre l’humanité. Ce que peut nous restituer aujourd’hui l’incendie de Notre-Dame, c’est l’envie de refaire histoire.

Par Perrine Simon-Nahum, Philosophe, directrice de recherches au CNRS, professeure à l'ENS.

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