Nouveaux horizons pour l'OTAN

Par Victoria Nuland, ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (LE MONDE, 07/12/05):

Kandahar, Darfour, Ar Rustimiyah, Bagh... Aujourd'hui, les diplomates et les soldats du QG de l'OTAN, à Bruxelles, ont leur attention fixée sur des lieux que peu d'atlantistes — européens ou américains, moi comprise — auraient su trouver sur une carte il y a quinze ans. L'OTAN, cette alliance militaire vieille de 56 ans, qui a protégé l'Europe et l'Amérique du Nord pendant toute la guerre froide, est, aujourd'hui, devenue le forum essentiel pour que ses vingt-quatre membres européens, le Canada et les Etats-Unis, puissent oeuvrer ensemble à la réussite des missions qui sont les nôtres à travers la planète.

Dans le monde interconnecté d'aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous permettre de ne nous intéresser qu'à nos petites affaires. Plus que jamais, nous constatons à quel point des événements qui se produisent aux quatre coins de la planète affectent et influencent le climat mondial ; et qu'ils nous concernent tous. Nulle part cette leçon n'est plus évidente qu'en Afghanistan. Quand je suis arrivée en Europe, il y a cinq ans, le terrorisme et les bouleversements dont l'Afghanistan était le théâtre n'apparaissaient pas du tout sur les écrans radar des stratèges européens et américains. Aujourd'hui, tous les Etats membres de l'OTAN et de l'Union européenne ont engagé des troupes ou leur trésorerie, voire les deux, pour aider ce pays à rejoindre la communauté des pays démocratiques et vivre en paix.

L'OTAN contrôle aujourd'hui la moitié du territoire afghan, en collaboration avec l'armée, la police et les élus de ce pays. Au printemps, elle sera présente dans les trois quarts du territoire. Pourquoi ? Parce qu'il a été démontré que ce qui se passe là-bas nous touche ici — dans les rues de New York, dans le métro de Londres et sur tous les marchés de la drogue en Europe et en Amérique du Nord. Le monde a beaucoup changé, mais les menaces qui pèsent sur l'Europe et sur l'Amérique du Nord demeurent identiques : la lutte que nous menons aujourd'hui contre les forces extrémistes et terroristes est, d'abord et avant tout, la version moderne du combat contre la brutalité, la tyrannie et l'inhumanité qui nous avait amenés à forger une alliance il y a 56 ans. Les Nord-Américains, les Européens, l'OTAN et l'Union européenne ont tous un rôle à jouer, séparément et ensemble pour assurer notre avenir et promouvoir notre liberté. C'est quand nous sommes unis que nos efforts ont le plus d'impact.

Le débat sur l'Irak et ses divisions ont infligé aux alliés une dure leçon : l'OTAN doit être le lieu où nous débattons de tous les problèmes qui touchent notre sécurité future — Proche-Orient, Irak, Corée du Nord, Chine, Iran, pour n'en citer que quelques-uns. Que l'OTAN soit directement concernée ou non, les choix que nous ferons dans ces parties du monde auront, en effet, un impact sur notre quête d'un équilibre mondial propice à la liberté. Mais les paroles ne suffiront pas.

Les alliés doivent investir plus que des mots pour faire en sorte que l'OTAN soit financée, flexible, et en première ligne pour affronter le XXIe siècle. Il nous faut réformer l'OTAN pour lui garantir les capacités et la flexibilité dont elle a besoin pour faire face à la menace où et quand elle se manifeste. Ce processus va sans doute exiger des approches créatives nouvelles, dont un financement commun et plus de ressources appartenant en propre à l'OTAN et gérées par elle.

Au cours des trois derniers mois, l'Organisation s'est aussi mobilisée pour soulager des populations qui souffraient à la suite de catastrophes naturelles — d'abord aux Etats-Unis, dans le golfe du Mexique, et, aujourd'hui, dans les montagnes du Pakistan (Bagh). Et ce ne sont sûrement pas les dernières missions humanitaires de l'Alliance. Ce qui signifie qu'elle doit disposer des ressources en hommes et en matériel pour être aussi généreuse et réactive que possible quand survient une catastrophe.

Enfin, l'ouverture du Centre de formation et de doctrine de l'OTAN à Ar Rustimiyah, en Irak, met en lumière un potentiel important et, jusqu'à présent, inutilisé de l'Organisation — celui d'un organisme multilatéral de formation à la sécurité, usant de son expertise pour aider d'autres nations du monde à améliorer le professionnalisme et le sens des responsabilités de leurs forces armées. Quand les grandes démocraties s'uniront pour défendre la liberté et la sécurité, nos effectifs se développeront, notre force et notre prospérité aussi. A l'inverse, quand nous nous replions sur nousmêmes, quand nous choisissons d'ignorer les problèmes qui se profilent à l'horizon, ou que nous nous battons entre nous, le tissu même de l'Alliance en est affaibli et, avec lui, la qualité de notre liberté. C'est pourquoi il nous incombe à nous, Nord-Américains et Européens, de tourner davantage vers l'extérieur la grande puissance de notre Alliance. Afin d'offrir au reste du monde un avenir meilleur, en accord avec les valeurs fondamentales que sont l'égalité des chances économiques, le pluralisme, et un gouvernement démocratique.