Le temps où les énergéticiens et les décideurs politiques s’interrogeaient pour savoir si le nucléaire devait être mis à contribution dans la lutte contre le réchauffement climatique semble révolu. Parmi les derniers signes qui en attestent, on peut relever la résolution que le Parlement européen vient d’adopter à une large majorité et qui souligne que «le passage, à l’échelle internationale, à une économie à faible intensité de carbone conférera à l’énergie nucléaire un rôle important dans le bouquet énergétique à moyen terme».De fait, tant en Europe qu’en Asie ou en Amérique, élus et dirigeants politiques ont intégré le fait que le développement du nucléaire peut renforcer les chances d’éviter à la planète un bouleversement climatique aux graves conséquences. Sur quelles bases ce raisonnement s’appuie-t-il ?
Pour combattre le réchauffement climatique, il est un impératif que tout le monde - de l’adorateur pâmé de la décroissance au productiviste le plus acharné - s’accorde à juger catégorique : il faut restreindre les émissions mondiales de CO2 et donc freiner notre recours aux combustibles fossiles. Le nucléaire se révèle pour cela l’énergie de substitution la plus puissante et la mieux adaptée : il est la seule source alternative immédiatement mobilisable capable de fournir en continu, à la demande, des quantités massives d’électricité sans émettre de CO2. C’est cette caractéristique écologique majeure qui explique pour une large part sa renaissance sur la scène mondiale. Au point même qu’outre les décideurs politiques, de grands leaders du mouvement écologiste international issus de Greenpeace, des Verts ou des Amis de la Terre admettent que lever l’interdit sur l’option nucléaire s’inscrit désormais dans la logique de la lutte contre le dérèglement du climat.
Il apparaît en effet que pour atteindre les objectifs mondiaux de réduction des émissions de CO2 discutés lors du sommet de Copenhague, le nucléaire peut permettre d’accomplir une part non négligeable du chemin. Les études prospectives des grands organismes énergétiques le montrent de façon spectaculaire : c’est dans les scénarios qui assignent au nucléaire sa part la plus importante que le réchauffement climatique est le mieux maîtrisé. Les émissions annuelles de CO2 se montent à près de 30 milliards de tonnes. Il faudrait les diminuer de moitié vers l’horizon 2030. Si le nucléaire est raisonnablement développé d’ici là - avec un doublement de ses capacités actuelles pour remplacer progressivement des centrales à charbon mises hors service dans les pays industrialisés - il représenterait un volume global d’économies de CO2 de plus de 5 milliards de tonnes par an ! Un potentiel de cette ampleur, s’il n’est certes pas tout l’objectif, est un atout déterminant pour réduire l’effet de serre et l’empêcher de basculer vers un emballement incontrôlable.
Si l’on en croit l’immense majorité des climatologues, c’est bien un tel emballement qui menace. «En termes d’émissions de CO2, on est au-delà du pire scénario», déclarait le 25 novembre Hervé Le Treut, un des climatologues français les plus écoutés. C’est dire que tous les moyens aujourd’hui disponibles doivent être mobilisés pour concourir aux économies de CO2 à réaliser en urgence. Dans cette perspective, la conjonction des économies d’énergie et des énergies renouvelables - présentée par certains comme le remède à tous nos maux - ne garantit nullement que l’objectif recherché puisse être atteint. La contribution additionnelle du nucléaire apparaît indispensable pour s’en approcher. Ignorer cette énergie ou s’en priver délibérément serait une démarche irresponsable de non-assistance à planète en danger.
Dans la partie qui se joue, chaque tonne de CO2 économisée est importante ; chaque milliard de tonnes évité est un enjeu essentiel dont dépend l’ampleur du bouleversement climatique qui menace… et toute mise en service d’installation à base d’énergie non carbonée - renouvelable ou nucléaire - est un pas dans la bonne direction. Il serait logique, dans ces conditions, que lors du sommet de Copenhague le nucléaire soit reconnu comme une énergie utile à la préservation du climat et intégré «officiellement» dans l’éventail des techniques ayant vocation à se substituer aux énergies fossiles pour fabriquer une électricité dont la demande mondiale pourrait doubler d’ici au milieu du siècle.
Francis Sorin, directeur du pôle information de la Société française d’énergie nucléaire.