Nuit de la philo : l'époque des populismes

La démocratie a toujours été menacée. Aujourd’hui, par le populisme, mais en d’autres temps non moins troublés, par le despotisme et la tyrannie. Quand un dirigeant détient le pouvoir absolu, par exemple Napoléon ou Staline, il abroge l’espace public, qui devient son espace personnel. En philosophie politique, on considère que c’est un des plus grands fléaux pour une société, car cela revient à supprimer l’espace de délibération démocratique et à priver les citoyens de toute possibilité de s’intéresser à la chose publique.

La corruption est aussi une grave menace pour la démocratie. En Amérique latine, nous avons vu récemment que les ressources publiques étaient confisquées par des minorités animées d’une avidité effrénée de richesses. Aujourd’hui, avec des dirigeants d’extrême droite comme Trump, Erdogan, Poutine ou Bolsonaro, le danger c’est le populisme, une conception particulière et moralisante qui décrit le monde politique en recourant à des préceptes moraux, péremptoires et cohérents : le peuple est bon, vertueux ; et les élites, corrompues et moralement inférieures.

Un graffiti à Caracas, au Venezuela, représentant l'ancien président Hugo Chávez, et le héros Simón Bolívar, «libérateur de l'Amérique latine». Photo Luis Robayo. AFP
Un graffiti à Caracas, au Venezuela, représentant l'ancien président Hugo Chávez, et le héros Simón Bolívar, «libérateur de l'Amérique latine». Photo Luis Robayo. AFP

Nous constatons que les politiciens et les partis populistes de droite et de gauche ont du succès un peu partout dans le monde depuis plus de deux décennies. Le populisme de droite, qui est apparu dans certains pays d’Europe et qui domine aux Etats-Unis, exerce une très forte séduction sur les travailleurs, les jeunes, les Blancs, les nouvelles églises, la classe moyenne aisée. Heider, Orbán, Marine Le Pen, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, Geert Wilders, Jaroslaw Kaczynski, Alexander Gauland de l’AfD, Donald Trump et Jair Bolsonaro, sont des exemples de cette nouvelle tendance, qui se caractérise par le nationalisme et l’ethnocentrisme. Leurs programmes combinent certains éléments – anti-Communauté économique européenne, anti-establishment et anti-immigration – avec des positions ultranationalistes et xénophobes, qui prônent l’exclusion ; ils remettent en question l’état de bien-être et la démocratie représentative.

Ces dernières années, l’Amérique latine a connu un populisme de gauche avec des représentants comme Hugo Chávez, Nicolás Maduro, Cristina Fernández de Kirchner ou Evo Morales. Ils se caractérisent par une volonté d’inclusion et par des politiques axées sur la justice sociale. En général, les populistes ont mis en place une politique fondée sur l’articulation des peurs ou des ressentiments, et par le truchement d’un discours populaire ils ont établi une opposition radicale entre le peuple et le pouvoir.

Comme se construit un peuple selon le populisme ? D’après Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, il faut d’abord former une frontière antagonique entre le «peuple» et le pouvoir ; en second lieu, il faut produire une «articulation équivalencielle des demandes» afin de rendre possible l’émergence du peuple ; et troisièmement, il faut intégrer ces diverses demandes dans un système stable de signification, synthétisé par l’apparition d’un leader qui doit contrôler le pouvoir du peuple : le leader charismatique.

Evidemment, il faut se demander si le populisme est positif ou négatif pour la démocratie. Je considère que le populisme de gauche peut être une force positive pour la démocratie, car il la radicalise et l’étend à tous les secteurs de la société, et il donne la parole à des groupes qui ne se sentent pas représentés par les élites ; inversement, le populisme de droite est une menace pour la démocratie, car il exclut des groupes spécifiques de la société, affaiblit les institutions politiques, remet en cause les droits et la protection des minorités.

Le problème délicat de tous les populismes, c’est la dérive : la souveraineté populaire risque de se confondre avec l’autorité du leader charismatique de gauche ou de droite, laquelle prend inévitablement la forme de l’autoritarisme. Quand le populisme affirme la primauté de la souveraineté populaire sur les principes de l’autonomie libérale et civile, il peut finir par nier cette essence philosophique du libéralisme et de la démocratie : la priorité absolue des droits humains.

Dans ce dernier sens, toute forme de populisme est un danger pour la démocratie. Car la démocratie exige le pluralisme, la participation de tous, la reconnaissance de nos droits en tant que citoyens. L’idée d’un peuple, en tant qu’unité homogène excluant les «ennemis du peuple», est une idée dangereuse, antidémocratique et antilibérale. Le populisme schématise les problèmes et donne des solutions simplistes. D’où son attrait et la clé de son succès. Mais les problèmes sont plus difficiles que ne le croient les politiciens populistes, car le succès de la démocratie implique des actions complexes.

Par Francisco Cortés Rodas , philosophe, université d’Antioquia Colombie. Traduction : Claude Bleton


Une Nuit de la philosophie à Paris

Philosopher, danser, partager  : vendredi, l’immense hall de l’Unesco à Paris est ouvert au public toute la nuit. Quarante-huit philosophes du monde entier donneront des conférences, un banquet sera animé par l’artiste Dorothée Selz, la mémorable émission de télé Droit de réponse sera répliquée, et la journaliste Adèle Van Reeth fera quatre enregistrements publics des Chemins de la philosophie diffusés sur France Culture. Organisée par la philosophe et metteure en scène Meriam Korichi, la 2e Nuit de la philo célèbre l’esprit, l’art et la convivialité. Partenaire de l’événement, Libération publie en avant-première des textes de philosophes qui interviendront lors de cette nuit de l’esprit et du corps.

Du vendredi 16 novembre 19 heures au samedi 17 novembre 7 heures. 7, place de Fontenoy et 125, avenue de Suffren (Paris, VII>e). Entrée libre. Programme : www.nightofphilosophy.com

Francisco Cortés Rodas interviendra à 3 heures dans la nuit de vendredi à samedi, salle IV. «Populism and the radicalization of democracy», (traduction simultanée en français).

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