Objectifs du millénaire : nous n'avons le droit ni de faiblir ni de renoncer

Jusqu'au 22 septembre, la communauté internationale est rassemblée à New York pour tirer le bilan des engagements pris lors du sommet du millénaire.

En septembre 2000, pour la première fois, les Etats plaçaient la lutte contre la pauvreté au coeur de l'agenda international. Pour la première fois, ils s'engageaient sur des objectifs précis et un calendrier défini. Ils se donnaient quinze ans pour réduire l'extrême pauvreté et la faim, assurer l'éducation primaire pour tous, promouvoir l'égalité des sexes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre les maladies, assurer un environnement durable, mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Huit défis majeurs en forme de miroir des inégalités de notre temps. Huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ouvrant un chantier sans précédent.

Depuis, certes, nous avons avancé sur le front de la pauvreté et de la mortalité des enfants, dans la lutte contre le sida et le paludisme ainsi qu'en matière de scolarisation. Entre 1999 et 2008, le taux de scolarisation est passé de 81 % à 89 %. Depuis 1990, le taux de mortalité des moins de 5 ans a baissé de 28 % dans les pays en développement. Quant à la proportion de la population vivant avec moins de 1 dollar par jour, elle est passée de la moitié de la population mondiale en 1990 à un quart en 2005.

Pourtant, nous n'avons pas assez avancé et la crise fragilise les combats remportés. Le mouvement de réduction du taux de pauvreté semble compromis : d'ici la fin de l'année, 90 millions de personnes pourraient s'ajouter aux 2 milliards d'êtres humains vivant au-dessous du seuil de pauvreté - moins de 2 dollars par jour. Sur le terrain de la faim, le constat est plus dur encore et les chiffres plus alarmants : à ce jour, 925 millions de personnes souffrent de la faim, 6 millions d'enfants en meurent chaque année et plus de la moitié des maladies dans le monde sont la conséquence de carences alimentaires. Hier, en 2008, sur tous les continents, aujourd'hui au Mozambique, crises alimentaires et émeutes de la faim nous le rappellent brutalement : parmi les grandes questions du siècle, il y aura bien celles de l'alimentation et de l'accès à une eau saine.

C'était l'une des cibles des OMD - réduire de moitié, d'ici à 2015, le pourcentage de la population qui n'a pas accès à l'eau potable, et fort probablement nous y parviendrons. C'est une belle victoire, mais c'est une victoire en trompe-l'oeil : un robinet ne suffit pas, encore faut-il que l'eau mise à disposition soit saine et, cela, les statistiques ne le disent pas... C'est aussi une victoire partielle : en 2015, plus de 670 millions de personnes seront toujours privées d'eau potable - dont 80 % en Afrique subsaharienne. Dans trop de régions, l'eau tue toujours. Inexorablement et dans un si lourd silence. Briser ce silence, c'est porter l'accès à une eau saine en tête des engagements internationaux, au titre d'un droit fondamental, partie intégrante des droits essentiels de l'homme. La France, qui s'est battue pour sa reconnaissance par l'ONU, obtenue en juillet, continuera sur cette voie.

Au-delà, sur le chemin des OMD, nous avons encore nombre de batailles à mener : pour l'assainissement, dont plus de 2 milliards d'individus sont privés ; pour une scolarisation garantie à tous ; pour une meilleure condition faite aux femmes... Malgré nos engagements et nos actions, malgré les progrès accomplis, à New York, le sommet contre la pauvreté s'ouvre sur l'inquiétante réalité du monde. Moins d'un mois plus tard, la communauté internationale se retrouvera à Rome dans le cadre du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) pour coordonner et engager des actions concernant l'équilibre alimentaire mondial. Puis à Nagoya pour le Sommet sur la diversité biologique. Et il faut le dire avec force : si nous ne freinons pas l'érosion de la biodiversité, nous n'en finirons pas avec la pauvreté.

La subsistance, et parfois la survie, de milliards de personnes dépendent d'une faune et d'une flore diversifiées. D'elles dépendent aussi la qualité de l'eau, la pollinisation des cultures, la préservation des espèces en cas d'épidémie, la prévention de l'érosion, la pharmacopée... Longue liste des services fondamentaux rendus à toutes les communautés humaines. Lutter pour la biodiversité, c'est comprendre que nous avons là une clé fondamentale pour le développement. "Réserves communautaires" de Namibie, où la faune sauvage est gérée par les villageois ; luttes contre la déforestation au Népal ou au Kenya, tortues marines préservées au Costa Rica... Toutes ces initiatives permettent aux communautés locales de sortir du dénuement.

Nous ne devons donc pas manquer les rendez-vous de New York, de Rome et de Nagoya, ni redoubler les incertitudes de Copenhague. L'enjeu est clair : il s'agit de garantir l'avenir de l'Homme. La question est éthique, mais elle relève aussi d'un réalisme lucide : le monde ne sortira pas de la crise en laissant sur le bord de la route l'essentiel de la communauté internationale. Ces constats doivent fonder notre mobilisation collective, pays riches et pays pauvres, citoyens, associations et acteurs publics, pour une solidarité neuve, pour une concertation renforcée, pour des outils redéfinis et mieux adaptés.

Il ne s'agit pas de nous faire peur, mais de se doter des moyens de vivre mieux. Pour cela, nous avons besoin de plusieurs leviers : la prise en compte de l'environnement dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement ; une coopération internationale renforcée et plus équitable ; de nouvelles instances mondiales - organisation mondiale de l'environnement ; une plus grande concertation et mise en cohérence des instances mondiales concernant l'agriculture et l'alimentation, dans le cadre du CSA ; une aide publique au développement plus ambitieuse, coordonnée et rationalisée, et la mise en oeuvre de financements pérennes comme une taxe sur les transactions financières mondiales ; un soutien résolu aux initiatives locales, à l'agroécologie et au développement du commerce équitable ; la mise en place dans chaque pays de politiques agricoles et alimentaires régulées ; une meilleure insertion des pays en développement dans l'économie, en particulier par la constitution d'ensembles régionaux solidaires.

Les voies, nous les connaissons ; la volonté, plus de 190 Etats l'ont eue, il y a dix ans. L'heure n'est pas de fléchir ni de désavouer ces objectifs. Pour reprendre les mots de Wangari Maathaï (militante écologiste kényane et Prix Nobel de la paix 2004), "nous n'avons le droit ni de fatiguer ni de renoncer".

Luc Guyau, cofondateur de TerrEthique, et Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie.