Océans : agir avant de se laisser submerger

Des déchets liés pour certains à l’épidémie de Covid, récupérés sur la digue de Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes). Photo Laurent Carré
Des déchets liés pour certains à l’épidémie de Covid, récupérés sur la digue de Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes). Photo Laurent Carré

Pourquoi se voiler la face ? Avant d’être l’amorce d’une nouvelle ère partout annoncée, le Covid-19 est pour l’heure, sur le plan des déchets, une catastrophe écologique. Sur les milliards de masques chirurgicaux et autres gants à usage unique utilisés dans le monde entier, des quantités astronomiques terminent leur vie par terre et dans l’océan. Une catastrophe pour la faune et la flore marines. Rappelons que, constitués en grande partie de polypropylène, donc de plastique, les masques à eux seuls mettent 450 années à se désagréger. Ces détritus liés à la pandémie viennent s’ajouter au triste score de 15 à 20 tonnes de déchets plastiques qui sont déversées chaque minute dans l’océan.

Dans ce «monde d’après», dont chacun souhaite qu’il soit empreint d’une réelle prise de conscience environnementale et de politiques publiques à l’avenant, les lobbys du plastique et de l’emballage se frottent les mains. Leur surenchère hygiéniste tous azimuts est pour eux l’occasion rêvée de redorer leur blason en imposant cet amalgame bien commode : plastique à usage unique = hygiène = sécurité optimale pour protéger les soignants, les consommateurs comme les aliments. Façon pernicieuse de discréditer indirectement les initiatives citoyennes de protections réutilisables, en tissu par exemple. De mettre à mal les campagnes de sensibilisation en direction des populations. Et, plus grave encore, d’envoyer par le fond toutes les mesures prises par les gouvernements du monde entier pour réduire l’emploi du plastique à usage unique, comme les cotons-tiges, pailles et autres couverts en plastique. Autant d’objets du quotidien qui n’ont pourtant aucun rapport avec le Covid-19.

Ces manœuvres au plus haut niveau s’exercent de mille façons. En France, on voit ainsi des demandes de moratoire apparaître au sujet des dispositions environnementales liées à la loi sur la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, promulguée en février. Même chose à l’échelle européenne, où une demande de report a eu lieu concernant l’interdiction de certains plastiques à usage unique au motif que «les produits plastiques contribuent à lutter contre le Covid-19». Quant aux lobbys américains, ils n’hésitent pas à affirmer qu’interdire le plastique met «les consommateurs et les travailleurs en danger».

Cette nouvelle menace «post-première vague» de Covid-19 s’ajoute à toutes celles qui pèsent sur l’océan, et que nous connaissons déjà : surpêche, acidification, canicules marines, zones mortes, rejets de métaux lourds, pesticides, eaux usées des villes, dégazage des pétroliers, extraction minière sous-marine, etc. Victimes de la pollution plastique, ici une baleine est retrouvée morte avec une boule d’ordures de 100 kilos dans le ventre, là 85 % des tortues marines ont ingéré des déchets plastiques et on a retrouvé des fragments de plastique dans 90 % des oiseaux marins dans le monde !

Quant aux conséquences sur la santé humaine, si nous ne savons pas encore très bien dans quelle mesure les microparticules de plastique ingérées par les poissons ont des effets sur celle-ci, leur translocation a déjà été observée dans les poumons et le système digestif. Tous ces constats nous rappellent plus que jamais combien est vitale la préservation de cet océan qui, rappelons-le, recouvre 70 % de notre planète.

Bien plus que la sauvegarde des oiseaux marins, des tortues et des baleines dans laquelle certains voudraient cantonner ce combat, c’est tout simplement la survie de l’humanité qui est en jeu. Car l’océan contribue à réguler le climat à l’échelle mondiale en absorbant près d’un tiers des émissions de CO2 anthropiques. Ses nombreuses molécules marines révèlent chaque jour leur potentiel en termes d’applications médicales, notamment dans la lutte contre certains cancers… bref, on le voit, la liste serait longue qui tenterait d’évoquer tous les bienfaits que nous rend l’océan.

Alors que faire ? Penser commodément qu’il n’y a que les grandes mesures étatiques qui comptent, ou se dire que chaque petit geste est important quand on est 7 milliards à les faire ? Les deux ne sont pas antinomiques, bien au contraire. Aujourd’hui, c’est sur tous les fronts qu’il faut agir. Toutes les études montrent que la collecte des déchets, là où ils se trouvent, constitue un enjeu stratégique pour commencer à inverser la tendance. Car le moindre geste, comme le plus spectaculaire, est un acte de résistance face à ceux qui, même dans «le monde d’après», continuent à vouloir soumettre l’humanité et la nature à la loi du plus fort et à la tyrannie du business.

Autrement dit ? Ramasser un bâton de sucette ou collecter des déchets à grande échelle, même combat. Surtout quand, dans le monde entier, la collecte des ordures ménagères tourne au ralenti, confinement oblige, avec pour effet de laisser les pluies emporter les gants et autres masques vers le fond de l’océan… bref, quand on sait qu’à Bangkok, en Thaïlande, le volume de ces déchets plastiques a augmenté de 62 % en avril, on se dit que ce combat est non seulement d’actualité mais, à l’image de la lutte contre le Covid-19, d’ordre mondial.

Comme tant d’autres, j’ai été sidéré de voir ces images de détritus souiller la forêt de Fontainebleau, les quais de Seine, les caniveaux des grandes capitales occidentales. Dans tous ces pays, où l’on se targue de trier ses déchets et de protéger l’environnement, il aura suffi d’une période d’exception pour oublier nos grands principes et multiplier les incivilités, preuve que partout, le travail d’éducation est loin d’être achevé.

Collecter les déchets plastiques à grande échelle, là où la densité de déchets est la plus élevée, comme à l’embouchure des fleuves, est une priorité. Mais pas seulement : elle est aussi, dès aujourd’hui, de sensibiliser, de former et d’aider à légiférer en vue d’une meilleure prévention à tous les niveaux. Car s’il y a bien une vérité qui nous concerne et nous rassemble tous, c’est celle-ci : nous avons autant besoin de l’océan que l’océan a besoin de nous. Ce n’est donc pas le moment de baisser les bras, mais plutôt de se retrousser les manches ! Ni résignation ni fatalité : il nous appartient à tous d’agir. Alors profitons de la Journée mondiale de l’océan, ce lundi, pour lancer ce message : il est tard mais tout est encore possible.

Yvan Bourgnon, navigateur, président fondateur de The SeaCleaners.

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