On ne négocie pas la paix en Syrie, mais la géopolitique de la région

Distribution de nourriture par le CICR dans une zone tampon près de Damas. © PAWEL KRZYSIEK / AFP / CICR
Distribution de nourriture par le CICR dans une zone tampon près de Damas. © PAWEL KRZYSIEK / AFP / CICR

Les négociations sur la Syrie aboutiront-elles à un accord de paix? Probablement pas tout de suite. Ni demain d’ailleurs. Car la paix n’est ni l’enjeu, ni véritablement à l’ordre du jour en Syrie aujourd’hui. Il faut pour cela un accord entre les puissances régionales et mondiales.

Le conflit dure depuis bientôt quatre ans et a causé la mort de plus de 250 000 personnes. On attend des négociations de Genève une paix négociée, un pays unifié et pacifié. Or ceci n’est pas possible, pour trois raisons: le manque de légitimité à l’international et de représentation de l’opposition à Bachar al-Assad, la nature du conflit actuel et enfin les questions stratégiques régionales.

Le mythe des «gentils rebelles»

Une demi-année après le début du conflit, le gouvernement américain et l’Union européenne ont reconnu une «armée syrienne libre (ASL)» – soit un groupement d’unités locales et régionales généralement laïques, équipées et soutenus par la Turquie et les Occidentaux. Cette légitimité visait à rendre le conflit plus manichéen et à créer une force «locale» sur laquelle une intervention internationale aurait pu s’appuyer.

Malheureusement l’ASL a connu de nombreux conflits, divisions et changements internes. Elle n’est pas l’alliée que l’on espérait. Surtout, l’arrivée de combattants étrangers au conflit, le développement d’Al Qaeda en Syrie (le front al-Nosra) et l’apparition de l’Etat islamique a fracturé l’ASL et a replacé le conflit dans une perspective confessionnelle. On recense plus de 170 différents groupes armés en Syrie (sans dénombrer les différents bataillons qui les composent) – autant alliés que concurrents. Comment dans ces conditions peut-on imaginer se mettre d’accord sur des représentants légitimes de l’opposition au régime de Bachar al-Assad? Les Américains, les Turcs et les Russes veulent chacun que l’on reconnaisse les groupes qu’ils sponsorisent.

Trop nombreux et trop faibles

La nature et la dynamique du conflit rendent sa résolution complexe. On compte en effet six partis au conflit principaux: l’armée syrienne et les milices de défense nationale supplées par l’Hezbollah et l’Iran; ce qui reste de l’ASL soutenue par la plupart des puissances étrangères, les forces islamistes se réclamant d’un état régi par la sharia, les forces patronnées par combattants kurdes, le front al-Nosra et enfin l’Etat islamique.

Militairement, chacune de ces forces compte entre 10’0000 (front al-Nosra) et 170 000 (régime et supplétifs) soldats capables de mener des actions militaires. Ces forces ne sont pas extensibles: elles ne suffisent pas à obtenir une véritable victoire décisive. Elles ne permettent pas non plus la prise d’une ville majeure sans soutien extérieur. Il n’existe probablement pas de solution militaire au conflit à ce stade.

Ainsi comme en Bosnie-Herzégovine au milieu des années 1990, tous les partis se sont entendus pour faire le vide. Il faut faire fuir la population, afin que les forces limitées sur le terrain puissent contrôler le maximum de territoire.

La résultante nous est bien connue, c’est l’exode des populations: sur une population de 22 millions avant guerre, 8 millions ont été déplacés et 4 millions ont quitté le pays.

Les enjeux géopolitiques

La solution de la paix n’est pas en Syrie, ni à Genève. Elle est à Washington, Ankara, et Riyad. C’est là que l’on a créé des partis et une armée de dizaines de milliers de rebelles aujourd’hui hors de tout contrôle. On n’a pas agi au moment de l’escalade du conflit: le moment le plus opportun et le plus légitime était l’emploi médiatisé d’armes chimiques, durant l’été 2013. Le renversement des alliances – rapprochement de Téhéran et enfoncement de Riyad – a profondément déséquilibré tout le Moyen Orient.

Pour sauvegarder son allié qui lui assure un accès aux mers chaudes et dans une course d’influence avec les USA, la Russie a engagé simultanément jusqu’à 30% de son aviation stratégique. En réalité en compétition avec la Turquie, pour une influence régionale. Le coût politique et militaire de cette aventure provoque l’isolement et la dégradation de Moscou avec nombre de ses partenaires.

Paix ou justice?

Il n’y aura pas de paix en Syrie tant que les grandes puissances seront désunies et continueront de soutenir leurs «proxys». Paradoxalement, la voix des partis locaux importe peu aujourd’hui pour la résolution du conflit. Il faut d’abord que les puissances régionales et mondiales s’entendent sur la solution négociée pour l’unité ou la partition de la Syrie. Il faudra ensuite que les groupes armés soient désarmés et dissous, ou intégrés dans une architecture de sécurité régionale ou locale.

Lorsque ces mêmes puissances arrêteront de fournir leurs «proxys» en armes et en pièces de rechange, en dollars et en conseils militaires, le conflit s’essoufflera peut-être en six mois, comme Hillary Clinton le prévoyait… en 2015.

Alexandre Vautravers, expert en sécurité au Global Studies Institute et rédacteur en chef de Revue militaire suisse (RMS +)

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